Envahie par les touristes, Barcelone adopte un modèle de «décroissance» touristique dans son centre-ville. Cristian Palazzi, directeur de l’Observatoire du tourisme responsable de l’Université Ramon Llull, explique comment la capitale catalane est passée, en seulement 20 ans, d’une ville de province à une capitale mondiale du tourisme. En 2014, on y comptait plus de 10 touristes par habitant. Trop, pour la mairie qui considèrent que la ville a atteint les limites de ses capacités.

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- Le Temps: Les stades ou les salles de concert affichent des limites de capacité. Comment peut-on affirmer qu’un espace ouvert comme une ville l’a atteint?

- Cristian Palazzi: C’est un débat récurrent en ce moment. A Barcelone, certaines zones de la ville commencent indéniablement à présenter des indices de saturation. A la Ciutat Vella (qui comprend La Barceloneta ou le quartier Gothique), l’Eixample dreta et autour de la Sagrada Familia, les infrastructures et les loyers subissent une forte pression liée au tourisme. Nous parlons d’une ville où 3 à 4 bateaux de croisière accostent chaque jour en août. Avec des pics de 60’000 passagers lâchés dans le village de pêcheurs de La Barceloneta, sans aucune forme de considération. Les mesures de décroissance prisent par la mairie sont inédites et risquées sur le plan économique, mais nous les soutenons.

- La hausse des prix ne finira-t-elle pas par limiter le nombre de touristes?

- Je suis convaincu que le marché va finir par s’autoréguler. Mais ce ne sera pas au profit des citadins. Le boum du prix des logements est déjà en train de faire fuir les résidents. Voulons-nous vraiment laisser la ville au marché? Pour la mairie, c’est une question de responsabilité sociale. Pendant des années, elle s’est contentée de faire la promotion du tourisme. Avec un succès manifeste. Elle doit aujourd’hui commencer à le gérer.

- Quels sont les impacts concrets du tourisme de masse?

- Dans les quartiers du centre, les commerces traditionnels disparaissent au profit de magasins ciblant les touristes. Les riverains doivent alors faire leurs courses de plus en plus loin. Quelle est la valeur ajoutée pour un quartier de l’implantation d’une énième boutique de souvenirs? De la même manière, l’apparition de nombreux logements pour touristes change la dynamique des immeubles. Il n’est plus rare que 3 ou 4 étages soient entièrement occupés par des résidents temporaires. Cela génère des nuisances sonores et détruit la vie de quartier.

- Le type de tourisme attiré par Barcelone est souvent pointé du doigt…

- Tout à fait. Pendant longtemps on a vendu le concept de «aqui todo vale» (ndlr. ici tout est permis). Cela a attiré un tourisme de plage, soleil et biture, avec un désintérêt total des cultures et des traditions locales. On est en droit de se demander pourquoi le touriste qui vient à Barcelone se comporte de manière si différente de celui qui se rend à Copenhague. A présent, la ville est en train de redéployer son offre touristique en coopération avec les tour-opérateurs. Elle met mieux en valeur ses musées et trace de nouvelles routes pour les voyageurs. C’est une transition qui prendra du temps.

- Pourquoi cette peur de perte d’identité est moins présente dans des villes comme Paris qui accueillent plus de visiteurs?

- Les Parisiens ont peut-être une idée plus claire de ce qu’est leur identité et de comment ils pourront la préserver. Barcelone n’est pas une capitale d’Etat mais elle concurrence pourtant, en termes de visiteurs, les plus grandes villes. Cela reflète une transformation profonde et extrêmement rapide, due à la capacité des Barcelonais d’innover et de se vendre. Mais je ne crois pas que l’on puisse lier ce débat sur la gestion du tourisme de masse au sentiment nationaliste catalan. Dans les prises de position, c’est toujours la préservation de la vie de cette cité cosmopolite qui a été mise en avant.

- En tant que Barcelonais, est-ce que vous vous promenez encore sur «La Rambla»?

- Pas beaucoup (rires). Mais je lui trouve encore du charme. Comme écrit l’historien Enric Vila: «La Rambla c’est un miroir de la relation tumultueuse que Barcelone entretien avec le pouvoir.» Aujourd’hui tournée vers le tourisme, elle a été initialement conçue comme une promenade pour les rois catalans vers un faste palais jamais construit. Pour devenir bien plus tard, une sorte de Champs-Elysées pour la bourgeoisie catalane qui voulait y parader sa richesse et vivre une certaine frénésie de la ville moderne. Je n’ai que 35 ans mais j’ai vécu la transition de Barcelone d’une ville de province vers une capitale européenne du tourisme.