Hans-Adam II, prince de Liechtenstein

«Mon espoir est de voir l’Union européennese diriger vers un Espace économique européen»

L’Etat doit être une entreprise de services qui ne craint pas une concurrence paisible et qui ne se place pas en position de monopole. Tel est le modèle d’Etat ­présenté par le prince Hans-Adam II, lors de la conférence internationale Haberler, organisée par la Fondation du Centre européen d’économie autrichienne (ECAEF), le vendredi 27 juin, à Vaduz. Les participants se sont demandé ce qu’était l’Etat, quel devait être son rôle et quelles devaient être les limites de son action.

Dans une société de services, le client est roi, a répondu Hans-Adam II. Un Etat qui suppose que le peuple doit le servir et qui lui fournit un service de piètre qualité financé par de lourds impôts ne survivra pas à la concurrence. «Et c’est bien ainsi», a-t-il ajouté.

A ses yeux, la liberté de choix du citoyen doit s’exprimer par la possibilité d’«exit» lorsque le service offert par l’Etat est de piètre qualité ou son prix exorbitant. Au Liechtenstein, la Constitution offre la possibilité à chacune des 11 communes, si la majorité le désire, de renoncer à son appartenance à la Principauté, à le quitter ou à devenir un Etat indépendant.

Plus un Etat est petit, plus la probabilité qu’il fasse sécession est faible, a fait valoir Hans-Adam II. A l’inverse, plus il est grand et plus des minorités risquent de se sentir désavantagées et de se lancer dans des actions violentes (ex-Yougoslavie, Union soviétique).

Hans-Adam II a estimé que l’action de l’Etat devrait se limiter à la politique étrangère, au maintien de l’Etat de droit, à la formation et à la gestion des finances publiques.

Pour la majeure partie de la population, l’Etat de droit prime sur les autres tâches. Il nécessite une police, un système juridique, des tribunaux et un parlement.

L’Etat doit garantir la sécurité des citoyens, mais il ne peut pas dépenser leur argent pour des dépenses militaires, selon le prince. L’armée ne ferait qu’augmenter les coûts sans accroître la sécurité de ses citoyens.

La formation est aussi une tâche clé de l’Etat. Mais du jardin d’enfants à l’université, sa gestion devrait être confiée au privé, aux communes, aux associations de communes et sociétés mixtes.

Le financement devrait être assuré par des bons distribués aux parents, a imaginé Hans-Adam II. Plutôt que de financer les écoles par l’impôt, mieux vaut financer les parents, respectivement les enfants, afin qu’ils choisissent eux-mêmes la meilleure institution.

Hans-Adam II a aussi fait des propositions sur la fiscalité. Les communes devant remplir davantage de tâches dans l’Etat imaginé par Hans-Adam II, les impôts directs devraient donc être confiés aux communes et les impôts indirects à l’Etat central.

Au total, l’Etat ferait face à une baisse de ses recettes fiscales. Mais ce que le pauvre Liechtenstein est parvenu à réaliser pour ne pas être endetté devrait être possible pour d’autres pays.

Hans-Adam II a également fait l’éloge de la démocratie directe. La démocratie représentative est un système qui limite le choix des citoyens à celui d’une personne. Mais comme le montre la vie des entreprises, les décisions portant sur les personnes sont plus difficiles à prendre que sur les problèmes de fond. Certes, les questions peuvent être complexes. Mais, d’une part, les différences de formation sont modestes entre les gouvernants et les citoyens. D’autre part, c’est toute la population qui subit les conséquences d’une mauvaise décision, a-t-il argumenté. Avant de répondre aux questions du Temps.

Le Temps: Majesté, vous êtes sans doute le seul chef d’Etat libertaire au monde. Quelles sont les sources de votre libéralisme?

Prince Hans-Adam II : C’est en partie le fruit d’une longue tradition familiale. L’esprit libéral coulait déjà dans mon lait maternel. J’ai très tôt été un rebelle, y compris chez les bénédictins à Vienne. Ensuite, j’ai étudié à l’Université de Saint-Gall et profité de son enseignement libéral, à travers des lectures telles que celles de Gottfried von Haberler.

– Vous présentez des propositions de rupture, comme la suppression de l’armée, le financement des écoliers plutôt que des écoles, la responsabilité des impôts directs uniquement aux communes. En avez-vous discuté avec d’autres chefs d’Etat?

– Non, on m’a rarement interrogé sur les propositions que j’ai faites dans mon livre. Peu l’ont lu. Certaines personnalités sont intervenues sur ma proposition d’une Constitution prévoyant la suppression de la monarchie et l’introduction de droits d’autonomie pour les communes, afin qu’elles puissent quitter un Etat et rejoindre un autre. Il en est résulté des crises, que j’ai moi-même souvent suscitées. On a surtout eu peur d’une abolition de la monarchie. Mais les autres monarques n’ont souvent guère de pouvoir, si ce n’est de représentation.

– Vos idées pourraient-elles être mises en œuvre ailleurs qu’au Liechtenstein ou dans un autre petit Etat?

– J’ai développé mes idées dans les années 1970, parce qu’à l’époque j’étais déjà persuadé du futur effondrement de l’empire soviétique si de profondes réformes n’intervenaient pas. Je me suis demandé ce que je ferais si j’étais au Kremlin. Comment pourrais-je maintenir réunies toutes ces nationalités? Cela m’a amené à proposer une décentralisation claire et la formation de petites entités avec un système de démocratie directe. J’ai proposé d’ancrer le principe d’autodéter­mination à l’ONU. La question est celle de l’interprétation. Il aurait fallu préciser les détails dans un document. L’idée était de maintenir la cohésion d’un Etat. Car si un tel pays s’effondre, le risque de guerre civile serait considérable.

Je l’ai présentée aux grandes puissances à New York. Je n’ai pas essuyé un refus catégorique. J’ai exprimé mes craintes notamment à l’ambassadeur russe, à l’époque de Gorbatchev. Les tensions étaient déjà perceptibles en Union soviétique. Il m’a répondu qu’il était entièrement avec moi et qu’il me soutenait totalement. Mais son adjoint était un représentant de la vieille garde. Il s’est immédiatement opposé en lui disant: «Sergueï, es-tu fou? Ce serait la fin de l’Union soviétique.» Finalement Moscou a refusé ma proposition et ce n’est pas allé plus loin.

– En tant que petit Etat membre de l’EEE, comment gérez-vous la question de la souveraineté par rapport à l’Union européenne?

– L’EEE comporte de nombreux avantages économiques. Nous avons aussi un droit de résiliation, alors qu’une adhésion à l’UE exclut pratiquement une sortie.

Avec l’EEE, nous avons nettement amélioré notre accès au marché européen. C’est pour cette raison que je me suis si fortement engagé en sa faveur.

Certes, une crise a éclaté dans la Principauté à cause de ce débat. Mais une crise bien gérée permet d’avancer. Le gouvernement du Liechtenstein, le parlement et la majorité de l’économie étaient opposés à l’EEE. Le secteur bancaire était contre. Une partie du gouvernement comprenait cette décision comme une étape intermédiaire sur la voie de l’adhésion. J’ai dit que nous devrions voter avant la Suisse, parce que mes sondages personnels indiquaient que le dossier serait accepté en votation. En raison de la crise qui régnait dans la Principauté, j’ai dû me résoudre à un compromis et à l’organiser après la Suisse. Le gouvernement espérait un signal positif de la Suisse.

Pour nous, l’EEE est la meilleure solution, parce qu’il nous offre davantage de marge de manœuvre qu’avant. Nous avons donc un contrat avec l’UE et un autre avec la Suisse.

– N’est-ce pas problématique de devoir reprendre systématiquement les lois émises par d’autres?

– Déjà auparavant, nous devions reprendre les lois helvétiques en vertu de notre espace économique commun. L’EEE nous a offert de nouvelles opportunités de développement. J’ai pu me mettre d’accord avec le gouvernement suisse et avec Bruxelles pour que nous obtenions une marge de manœuvre par rapport à Berne et à Bruxelles. Avec l’EEE, nous avons non seulement la possibilité de résilier le contrat mais aussi de ne pas reprendre certaines lois. Bruxelles doit alors en apprécier la portée et adapter ou non notre accès au marché européen. Avec l’EEE, nous n’avons pas accru les restrictions du pays mais plutôt accru notre marge de manœuvre.

– Pourquoi vos propositions libérales n’ont pas été mises en œuvre au Liechtenstein lui-même?

– Je pouvais réaliser la plupart de mes propositions. Mes ancêtres devaient déjà se battre pour leurs idées, par exemple au milieu du XIXe, pour obtenir l’union douanière avec l’Autriche-Hongrie. Mais les résistances sont considérables. Chaque tentative de libéralisation a toujours été difficile et s’est heurtée à divers groupes d’intérêts. Lorsque nous avons voulu la libéralisation des services financiers, nous avions trois banques. La nôtre que nous avions reprise à la fin des années 1920 dans le cadre de son sauvetage, la banque de l’Etat, qui appartenait à la Principauté, et une banque privée. Notre projet de libéralisation a suscité de vastes résistances. Certains voulaient qu’on limite le secteur bancaire à ces trois instituts. J’ai déclaré que je ne signerais pas cette loi si je n’obtenais pas satisfaction. J’ai ainsi fait usage de mon droit de veto, et elle est passée.

– Comment définissiez-vous le système politique au Liechtenstein?

– Le Liechtenstein est au bénéfice d’une «Constitution mixte» (Misch­verfassung). Nous avons deux souverains, le peuple et la famille princière. Dans la Constitution de 1921, les deux devaient approuver une loi, le peuple étant représenté par le ­parlement, la famille par le prince régnant. Nous avons repris la démocratie directe de la Suisse. Mais la politique étrangère est restée exclue de la démocratie directe. J’ai réussi à l’intégrer parce que c’était, pour moi, la seule ­possibilité nous permettant d’obtenir l’EEE. L’étape suivante a été la légitimation de la monarchie, laquelle a été introduite avec l’article stipulant qu’elle restait en vigueur si la majorité de la population le désirait. Le peuple a donc davantage de poids dans la nouvelle ­constitution.

– Comment voyez-vous l’avenir de l’Union européenne à long terme?

– Je porte mon espoir sur la capacité de l’Union européenne à se diriger vers une sorte d’Espace économique européen. Si l’on désirait créer les Etats-Unis d’Europe selon le modèle des Etats-Unis d’Amérique, cela réduirait fortement la diversité au sein de l’Europe alors qu’elle en est sa force. Les Etats-Unis ont été créés après une guerre civile. J’aimerais l’éviter en Europe.

L’UE est arrivée à ses limites: une énorme bureaucratie a été créée. Les critiques à son égard se multiplient dans de nombreux pays. Soit elle se réforme et revient au système précédent, soit elle se réduit ou se disloque complètement.

– Pourquoi les Etats peinent-ils autant à se réformer?

– Ils ne parviendront presque jamais à se réformer. Dans une démocratie indirecte et un pouvoir centralisé, les partis doivent de facto acheter leurs voix. Le modèle court à sa perte. Cela fonctionnait tant que la banque centrale de chacun des pays émettait de l’argent pour financer cette politique. La BCE ne peut plus remplir cette tâche dans chaque pays en difficulté. L’Allemagne s’y oppose. Une crise se profile sans doute.