Est-ce la bonne décision pour les fonds de pension de bannir les obligations?
Finance 2.0
Le fait de raccourcir la duration, en attendant une correction des marchés obligataires quand le mouvement sera entamé, n’a finalement pas un grand coût aujourd’hui

Nombreux sont les investisseurs qui se demandent s’il faut maintenir une allocation dans un actif qui «facialement» ne rapporte plus rien, le rendement des obligations de la Confédération à 10 ans oscillant autour de la barre fatidique de 0? Quelles sont les considérations à prendre en compte?
Un investisseur institutionnel doit toujours commencer l’analyse par ses engagements, le côté passif de son bilan. Pour un fonds de pension ce sont donc les engagements envers les assurés. Dans le cadre réglementaire de la Suisse, les obligations envers les assurés déjà retraités sont connues avec certitude en ce qui concerne les montants. C’est l’incertitude sur la longévité qui persiste. En ce qui concerne les assurés encore actifs, dans la plupart des cas des régimes à «contribution définie», il n’y a pas encore d’obligation de paiement, mais c’est le capital de vieillesse accumulé jusqu’à ce jour qui figure dans le bilan du fonds de pension. Faisant la synthèse de ces deux grands blocs d’ engagements, il faut donc constater que la certitude sur les obligations de paiements futurs est faible.
Par conséquent, il est inutile d’appliquer l’investissement adossé au passif (=liability driven investment, LDI) de manière très précise car ce sont justement les obligations qui vont fortement évoluer dans l’avenir. C’est une des raisons principales pourquoi le «LDI» est si peu répandu en Suisse. Une autre raison est que les taux d’intérêt sont très faibles et que ce type d’investissement figerait une bonne partie des placements à des rendements très bas.
Il est donc bien plus pragmatique de raisonner avec une allocation stratégique appropriée, c’est-à-dire apte à fournir le rendement nécessaire à maintenir un degré de couverture stable ou même s’améliorant dans le temps. Les obligations doivent-elles encore faire partie d’une telle allocation?
Comme indiqué précédemment, les retraites des quelques prochaines années sont connues avec un degré de certitude relativement élevé. Plus on avance dans le futur, moins forte est cette certitude. Indépendamment d’une opinion sur l’évolution des taux d’intérêt, il est opportun de «matcher» cette partie des flux négatifs par des obligations à maturité équivalente. Car il n’y a quasiment aucune autre classe d’actif avec une visibilité aussi bonne que les obligations – ceci d’autant plus qu’on s’en tient à de très bonnes qualités de crédit.
Mais plus on analyse un horizon temporel long, moins les obligations sont attractives: sur un cycle d’affaires entier (autour de 8 ans minimum), on peut compter sur un rendement des actions d’environ 4% au-dessus des taux d’intérêt sans risque. Ceci est vrai aussi bien pour les actions globales ex-Suisse que pour les actions suisses. Même si des variations importantes doivent pouvoir être supportées entre-temps, à long terme les actions ou des classes d’actifs comme l’immobilier, l’Infrastructure ou les matières premières constituent des investissements plus rentables et doivent constituer une bonne partie de l’allocation stratégique.
Toutefois, même à long terme le rendement n’est pas tout. Car pour pouvoir passer à travers des périodes de crises et de fortes chutes des marchés actions, il faut néanmoins maintenir une partie de ses actifs en obligations, même si le rendement est moindre. Les effets de diversification entre les classes d’actifs à fort rendement citées ci-dessus et les obligations sont importants, et un fonds de pension aurait tort de s’en priver. Pour profiter de cet effet au maximum, il faut par contre diversifier très largement la poche obligataire. Celle-ci inclura des obligations étatiques des pays industrialisés aussi bien qu’émergents ainsi que des obligations d’entités liées aux gouvernements complétées par une bonne partie d’obligations d’entreprises de toutes qualités de crédit. Ce dernier point est tout aussi important que la diversification entre les segments, ou que la diversification géographique. Le Franc suisse constituant un marché très petit, la diversification en dehors du Franc – toutefois en couvrant le risque de change – s’impose.
Pour améliorer le rendement de la poche obligataire, des instruments de dette moins liquides comme des prêts aux entreprises sont à considérer – d’autant plus qu’on les juxtapose en face de paiements de retraite plus éloignés dans le temps.
Ayant analysé la situation sur un plan stratégique, reste à regarder la situation tactique. S’il ne faut pas bannir les obligations totalement, il est clair qu’une duration longue de taux d’intérêt est actuellement très peu rémunérée. Avec la Federal Reserve qui a encore confirmé en septembre qu’elle allait prendre la route de la hausse des taux directeurs cette année, raccourcir sa duration, en attendant une correction des marchés obligataires quand le mouvement sera entamé, n’a finalement pas un grand coût aujourd’hui.