En Suisse, le Conseil fédéral devrait donner sa réponse mercredi aux demandes d’aide de l’industrie du transport aérien. Swiss et EasyJet, les deux principales compagnies dont les activités sont quasiment paralysées depuis février, sont les premières concernées. En effet, en Europe et ailleurs, les Etats multiplient ces jours les mesures d’aide destinées à sauver ce secteur ravagé par le Covid-19 depuis deux mois.

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«Les Etats agissent en urgence parce qu’il s’agit non seulement de sauver des emplois, mais aussi parce que les compagnies d’aviation jouent un rôle stratégique dans l’ensemble de l’économie», répond Philippe Berland, expert du secteur aérien basé à Paris. Il y a deux semaines, l’IATA, l’organisation qui regroupe 290 compagnies aériennes, avait chiffré à 314 milliards de dollars la baisse du chiffre d’affaires des compagnies aériennes en 2020, soit une chute de 55% par rapport aux revenus de 2019. Selon The Guardian de mercredi dernier, qui cite un rapport de Greenpeace et du Carbon Market Watch, les compagnies européennes auraient demandé une aide de 12,8 milliards d’euros aux autorités nationales, sans conditions environnementales.

Lufthansa négocie une aide aussi à Berne

Pas plus tard que lundi, Berlin a annoncé 550 millions d’euros de prêts à la compagnie charter Condor. Mais en Allemagne, les regards sont davantage tournés vers Lufthansa, premier groupe aérien européen. Le principe d’un soutien public lui est acquis. Son ampleur dépendra des consultations que la compagnie mène également en Suisse, en Belgique et en Autriche où opèrent ses filiales Swiss, Brussels Airlines et Austrian.

Selon l’agence de presse allemande DPA, Berlin pourrait avancer entre 9 et 10 milliards d’euros. L’idée que l’Etat pourrait même devenir actionnaire de Lufthansa en échange de ses milliards a été évoquée. Pas moins de 700 sur 763 de ses appareils sont cloués au sol et selon son patron Carsten Spohr, cité par DPA, «la compagnie perd un million d’euros par heure en raison du coronavirus». Malgré la probable aide, une restructuration, avec le licenciement de 10 000 sur 135 000 collaborateurs, est d’ores et déjà annoncée.

Alitalia nationalisée

La France et les Pays-Bas volent aussi au secours d’Air France-KLM, avec des prêts respectivement de 7 et 4 milliards d’euros, conditionnés à des mesures écologiques. Alors que la quasi-totalité de ses avions ne décollent plus, le groupe entend sauver les 350 000 emplois directs et indirects dans les deux pays. En Italie, en difficulté depuis des années, Alitalia sera nationalisée. La nouvelle société, qui sera constituée en juin, disposera d’une flotte réduite de 90 appareils contre 113 actuellement. Au Royaume-Uni, le gouvernement aidera British Airways, Virgin et EasyJet.

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Chez les low cost, EasyJet dit avoir des reins solides pour traverser la crise. Du reste, l’entreprise maintient, malgré les protestations de son fondateur et premier actionnaire, Stelios Haji-Ioannou, la commande de plus de 100 avions auprès d’Airbus. Mais c’est fini pour une dizaine d’acteurs dont Germania (Allemagne) Wow Air (Islande), VLM (Belgique) Primera Air (Danemark), Flybe (Royaume-Uni), Cobalt Air (Chypre). Le survivant Ryanair (Irlande) attend un soutien public alors que Norwegian (low cost long courrier) a déjà annoncé qu’elle ne reprendra pas ses vols avant 2021.

Aux Etats-Unis, l’administration Trump n’a jamais hésité en la matière. Les compagnies aériennes ont déjà reçu 12,4 milliards de dollars sous forme de prêts convertibles en actions. Objectif: préserver les emplois dans un secteur qui compte 750 000 travailleurs. Le Trésor n’excluait pas samedi des fonds supplémentaires qui seraient versés «au fur et à mesure».

South African Airways et Air Mauritius en faillite

Le secteur aérien n’est pas épargné dans le reste du monde. Selon Philippe Berland, les compagnies qui étaient déjà fragiles avant la crise paieront le prix fort. C’est déjà le cas d’Alitalia, mais aussi de South African Airways et ou encore d’Air Mauritius. Ces deux dernières se sont mises en situation de faillite ces derniers jours. Air India songe à la privatisation. Dans d’autres cas, les compagnies seront sauvées grâce à l’endettement. En Australie, Virgin, la deuxième compagnie, doit sa survie aux investisseurs chinois.

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«Les milliards injectés pour sauver les compagnies aériennes ne garantissent toutefois pas leur survie à long terme, met en garde le spécialiste Philippe Berland. L’avenir même du secteur dépendra du comportement des voyageurs sur le plan sanitaire, écologique et économique.» Selon lui, la généralisation du télétravail aurait un impact signifiant sur le marché du voyage.

«Il est impossible de prédire ce que le secteur sera dans une année, poursuit Philippe Berland. Car nous ignorons la durée de la pandémie et si un retour à la normale, lorsqu’il interviendra, sera rapide ou lent.» En revanche, une chose, selon lui, est sûre: la concurrence sera féroce, ce qui exercera une pression sur les prix et, in fine, sur la survie même de nombreuses compagnies. «En fin de compte, c’est tout le paysage du transport aérien qui sera transformé par des restructurations, des fusions et acquisitions.»

Dans ce processus-là, les Etats-Unis partent sur une meilleure base. «La consolidation du secteur aérien a déjà eu lieu ces dernières années, avec la formation de quatre majors, Delta, American Airlines, Southwest et United, précise Philippe Berland. En Europe où les compagnies sont beaucoup plus nombreuses, le jeu est ouvert.»