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Eveline Widmer-Schlumpf est allée trop loin

L’arrivée d’Eveline Widmer-Schlumpf à la tête du Département des finances est en train de changer la donne

* Fondatrice de Pro Mind Consulting, Lausanne

Stabilité. Voilà un mot magique qui a longtemps qualifié la Suisse, ses institutions, son économie et sa politique financière et monétaire. De nombreux spécialistes y ont vu une des raisons du miracle économique helvétique.

L’arrivée d’Eveline Widmer-Schlumpf à la tête du Département des finances (DFF) est en train de changer la donne.

Depuis 2010, la conseillère fédérale multiplie les chantiers dans tous les sens sans qu’une stratégie globale ou partielle ne soit communiquée. Les dossiers sont lourds et contraignants pour le pays. Tout semble urgent. La seule certitude est que, le jour où elle quittera son poste, la restructuration du pays aura été profonde, cinglante, chaotique et induite par la volonté d’une seule personne.

Il y aura un avant et un après-Eveline Widmer-Schlumpf. En attendant, ses actions choquent de plus en plus, aussi bien sur le fond que sur la forme. Eveline Widmer-Schlumpf n’en a cure. Sa résilience résiste à tout.

Eveline Widmer-Schlumpf polarise la vie publique. Son monde semble se diviser entre les tenants de la finance (grandes banques too big to fail), de la puissance (Etats-Unis, Union européenne…) et du pouvoir (Fonds monétaire international, OCDE…), d’une part, et le peuple suisse, ses élus et ses PME, d’autre part. Son comportement semble aussi à géométrie variable. Son style de négociation avec les puissants relève d’une soumission doublée de grande générosité. On la voit multiplier concessions et chèques en blanc sans contrepartie aucune.

Face au peuple et à ses élus, Eveline Widmer-Schlumpf pratique le «there is no alternative» cher à Mme Thatcher. Le problème de la méthode est qu’Eveline Widmer-Schlumpf a, elle, un problème de légitimité pour se permettre de contrer l’opinion publique et de se passer de soumettre sa politique aux référendums. Son parti ne représente que 4,5% d’élus au National et 2% aux Etats. Sa présence même au Conseil fédéral relève du miracle.

Au niveau opérationnel, le citoyen tend à perdre le capital de sympathie en cherchant en vain sa stratégie. Quant à sa communication, elle est dominée par le secret et l’opacité exigeant ainsi une confiance aveugle hélas évaporée.

Propreté de l’argent, préservation des emplois, règlement des litiges, respect du droit… sont omniprésents dans ses discours. Ses actions laissent supposer l’inverse. Il semble par exemple qu’une petite équipe de patrons de banque, avocats et autres fiduciaires1 pas forcément suisses aient instauré un système encourageant des Américains à frauder le fisc. Ces personnes seraient connues des autorités américaines et suisses. Elles risqueraient gros aux Etats-Unis. Les infractions seraient graves et répétées.

En quoi leurs déboires privés concernent-ils le citoyen suisse? Pourquoi Eveline Widmer-Schlumpf en fait-elle une affaire d’Etat? Pourquoi ces personnes ne sont-elles pas livrées à la justice américaine? Cet amalgame entre le privé et le public est un drame pour la Suisse et pour ses citoyens, que l’on charge – moralement et financièrement – de manière indue d’actes répréhensibles.

Eveline Widmer-Schlumpf voudrait faire admettre, mais sans informer (!), un accord avec les Etats-Unis. Elle y autoriserait les banques à dénoncer des collaborateurs. Elle investirait donc d’une autorité publique ceux-là mêmes qui ont mis le monde à genoux par des pratiques apparentées à un système inqualifiable! On nous annonce 12 banques. Ce ne serait donc pas un fait isolé mais un système.

De toute façon, des employés de banque n’auraient pu initier sans leur hiérarchie un mouvement d’une telle ampleur transnationale. Ce serait donc cette même hiérarchie qui dénoncerait ses collaborateurs? Elle aurait intérêt à envoyer au feu américain les personnes qui en savent le moins. Eveline Widmer-Schlumpf serait prête à sacrifier les droits de citoyens innocents! Mis à part l’aspect insoutenable et antidémocratique de la chose, la Suisse passerait aux yeux du monde pour une république bananière.

L’effet sur sa place financière est garanti. Les Etats-Unis, qui défendent leur industrie financière, le savent bien. Côté suisse, on sacrifie toute une industrie de pointe pour quelques brebis galeuses.

Eveline Widmer-Schlumpf engagerait le contribuable pour le paiement de milliards de francs (10?) d’amendes. UBS et Crédit Suisse seraient déjà garanties quelle que soit leur gestion (malversations incluses) grâce à la loi too big to fail d’Eveline Widmer-Schlumpf. Aucune sanction ni aucune protection d’emplois n’y sont prévues. Le chèque en blanc est doublé d’immunité totale. Fortes de ce soutien sans limite, ces banques se déploient à Singapour. Le secret bancaire y est intact et échappe à la stratégie de l’argent propre d’Eveline Widmer-Schlumpf. La BNS, toute dédiée à leur cause, les y a rejointes en mars.

La politique d’Eveline Widmer-Schlumpf qui mélange intérêt public et haute finance internationale est indigeste. Ses échecs répétés détruisent sérénité et stabilité.

Envisager de priver des citoyens de leurs droits est un dérapage grave. Si cette technique de forcing antidémocratique doit réussir, il faudra se préparer à une descente aux enfers. Les crises gagneront en ampleur et en quantité (la France s’y met). La démocratie sera en lambeaux.

Combien de temps la Suisse peut-elle encore supporter Eveline Widmer-Schlumpf à la tête du DFF?

  1. «Affaire UBS: Série noire», par Yves Steiner, Lombard Street.

Depuis 2010, la conseillère fédérale multiplie les chantiers dans tous les sens sans qu’une stratégie globale ou partielle ne soit communiquée