Tous les secrets n’ont pas la même valeur. Si les autorités américaines n’ont pas encore trouvé la base légale qui leur permettrait de bloquer la diffusion de documents secrets dans les médias et de traduire en justice Julian Assange, la révélation prochaine de documents internes d’une grande banque américaine pourrait causer de nouvelles difficultés à WikiLeaks. Jusqu’ici, l’accès au site libertaire n’avait été bloqué qu’une seule fois par une Cour américaine, en 2008. La coupure temporaire du nom de domaine wikileaks.org avait alors été obtenue par la banque suisse Julius Baer, qui exigeait le retrait de documents internes compromettants fournis au site par un ancien employé, Rudolf Elmer. WikiLeaks avait partiellement obtempéré en échange de l’abandon de la plainte de l’établissement zurichois.

Héros, puis terroriste

Malgré ce précédent, Julian ­Assange a indiqué au magazine Forbes, dans une interview fin novembre, que WikiLeaks révélerait bientôt de nouveaux secrets touchant cette fois «une grande banque américaine». La «mégafuite», provenant de l’ordinateur d’un ancien cadre dévoilerait «tout un écosystème de la corruption», selon Julian Assange.

Sur le plan juridique, l’éventuelle divulgation de secrets d’entreprise pourrait donner des armes bien plus solides aux détracteurs du site que dans l’affaire des câbles diplomatiques, où le gouvernement américain hésite à invoquer des provisions anti-espionnage datant de 1917. La fuite pourrait également modifier l’équilibre politique des alliés et des ennemis de WikiLeaks, notamment en Suisse.

Le propriétaire et rédacteur en chef de la Weltwoche, Roger Köppel, avait par exemple pris fait et cause pour Julian Assange dans son avant-dernier éditorial, le décrivant comme un héros de la «transparence citoyenne» contre la «toute-puissance des Etats», ces «constructions hautement problématiques».

Une semaine plus tard, l’éditorialiste proche de l’UDC a repris la plume pour préciser son propos. Cette fois, Roger Köppel estime que la Suisse devrait se garder d’accorder l’asile à Julian Assange, ce «terroriste de l’information», si ce dernier venait à en faire la demande. En cause, la «nouvelle étape» que représenterait la publication de documents bancaires, qui n’aurait dans ce cas pas d’autre justification que le «pur goût de l’indiscrétion». A l’inverse des Etats, poursuit l’éditorialiste, les banques sont des «constructions fragiles», à qui la divulgation de «documents commerciaux privés» ferait courir un «risque mortel». «Il serait étonnant que des grands médias soutiennent l’attaque planifiée de WikiLeaks contre les banques», conclut-il.

En 2008, la plainte de Julius Baer avait contribué à donner un fort retentissement à l’affaire que la banque cherchait à étouffer. Les documents rendus publics par Rudolf Elmer, qui révélaient l’identité de détenteurs de comptes dans les îles Caïman, restent aujourd’hui largement accessibles sur Internet. Ces informations ont par la suite été à l’origine de plusieurs enquêtes pour fraude fiscale en Allemagne.