Heure par heure, les compagnies aériennes annoncent un renforcement de leurs mesures face à l’épidémie. Mardi, c’était au tour de l’Espagne de suspendre tous les vols vers l’Italie. Le même jour, la britannique British Airways annulait tous ses vols pour la journée. Après les mesures de confinement des dirigeants italiens, les transporteurs aériens ont, pour la plupart fortement, réduit leur offre vers le pays. De nombreuses compagnies européennes ont également annoncé qu’elles mettaient fin aux frais de modification des billets pour les prochains mois, des mesures qui pèsent sur leurs finances.

Le coronavirus attire également l’attention sur l’attribution des «slots». Ces créneaux horaires d’atterrissage et de décollage attribués à chaque compagnie par aéroport représentent une manne rare. En Europe, pour conserver leurs créneaux les compagnies doivent s’assurer de les utiliser au moins à 80% selon la règle du «use it or lose it» (utilisez-les ou perdez-les) imposée par la législation européenne. Un taux d’utilisation difficile à tenir en cette période de ralentissement. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé ce mardi la suspension temporaire de cette règle pour éviter des vols à vide.

Des pertes record

La semaine dernière, l’Association du transport aérien international (IATA) a revu à la hausse son estimation du coût de la crise, en tablant sur deux scénarios. Si le nombre de marchés touchés reste stable (les pays avec plus de 100 cas), l’organisation prévoit des pertes de 63 milliards de dollars de chiffre d’affaires (58 milliards de francs) au niveau mondial, dont 47 milliards pour les marchés asiatiques.

Ce montant est déjà bien supérieur à celui induit par le SRAS en 2003. Le coût de cette dernière épidémie s’était élevé à environ 6 milliards de dollars pour les compagnies asiatiques. Mais selon l’IATA, si le coronavirus continue de se répandre, les pertes de chiffre d’affaires pourraient s’élever à 113 milliards de dollars pour l’année 2020, soit autant que le coût de la crise économique de 2008-2009 pour le secteur. Cette somme représente 20% des revenus générés annuellement, uniquement par le transport de passagers sans compter le fret.

Selon les chiffres du site Flightstats.com, 15 000 vols ont été annulés et 94 000 retardés depuis et vers l’Europe durant les trente derniers jours. Sur la même période, près de 48 000 vols ont été annulés et 72 000 retardés vers et depuis l’Asie.

Des compagnies déjà fragilisées

Cette nouvelle crise, au départ circonscrite au trafic asiatique, commence aussi à peser lourd en Europe, où elle a fait une première victime. Incapable de faire face à la chute du nombre de réservations, la compagnie britannique Flybe a annoncé jeudi qu’elle cessait ses activités. En sursis, elle avait déjà été sauvée du dépôt de bilan à deux reprises. Il y a un an, le consortium d’investisseurs Connect Airways, comprenant notamment Virgin Atlantic, s’était porté au secours de Flybe. Puis en janvier dernier, le gouvernement de Boris Johnson avait consenti à un report d’un versement d’impôt mais a refusé un prêt de 100 millions de livres réclamé par la compagnie pour se maintenir.

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Cette disparition met les Britanniques dans l’embarras dans cette période de Brexit. Flybe assurait 80% des vols depuis Belfast, notamment vers le reste du Royaume-Uni. «Ailleurs en Europe, on peut aussi s’inquiéter de la situation de deux autres compagnies qui sont en grandes difficultés financières. L’italienne Alitalia, qui est à la recherche de partenaires financiers depuis longtemps, ainsi que la compagnie Norwegian, qui propose des vols transatlantiques low cost», pointe Arnaud Aymé spécialiste des transports chez Sia Partners.

Ces deux compagnies subissent des difficultés financières antérieures à l’émergence du coronavirus, mais ces dernières sont amplifiées par l’épidémie. Le transporteur italien a annoncé lundi qu’il suspendait ses vols vers et en provenance de l’aéroport de Milan. Depuis deux ans, il est à la recherche d’un repreneur. La crise intervient alors que la compagnie annonçait une hausse de 4,4% de son chiffre d’affaires pour le mois de janvier par rapport à l’année précédente. Quant à Norwegian, après trois années consécutives de déficit, elle prévoyait un retour dans le positif en 2020. Jeudi, la compagnie a finalement retiré ses prévisions.

Vers une concentration du secteur?

Des compagnies plus solides doivent elles aussi prendre des mesures pour diminuer leurs coûts. La compagnie hongkongaise Cathay Pacific, déjà atteinte par les manifestations l’an dernier, a demandé à ses 27 000 employés de prendre trois semaines de congé sans solde. Le groupe Lufthansa qui avait déjà annoncé une réduction de ses capacités de vols de 25%, envisage de descendre jusqu’à 50%. Cent cinquante avions sont déjà cloués au sol, et la compagnie songe également à immobiliser l’ensemble de ses 14 gros-porteurs A380. De nombreuses compagnies ont annoncé le gel des embauches et des investissements jusqu’à l’issue de la crise.

Ce ralentissement n’affecte pas tous les transporteurs de la même manière. «Lufthansa est propriétaire de sa flotte, souligne Xavier Tytelman spécialiste aéronautique chez CGI Consulting. Si elle immobilise sa flotte, elle n’aura pas de frais supplémentaires à rembourser contrairement aux compagnies qui ont des avions en leasing ou qui n’ont pas fini de rembourser les avions qu’elles ont achetés.»

Cette épidémie pourrait donc aboutir à une concentration du secteur au profit des grandes compagnies qui récupéreraient la clientèle des disparues. «Les pertes de cette année vont annuler les bénéfices des cinq-six dernières années, estime Xavier Tytelman, mais c’est aussi l’occasion d’éliminer les compagnies qui auraient déjà dû faire faillite et de mieux structurer le marché.»

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Face aux coûts qui s’accumulent, les compagnies ne bénéficient même pas de la récente baisse des prix du carburant. «Les compagnies ont des contrats de fourniture sur plusieurs mois ou années pour garantir les prix, donc la baisse sur les marchés n’est pas forcément répercutée, rappelle Arnaud Aymé. Mais comme les avions ne volent pas, ça ne change rien.»