Coup de théâtre sur le marché du café: JAB, une holding d’investissement propriété de la très discrète famille de milliardaires allemands Reimann, vient d’avaler pour 13,9 milliards de dollars, Keurig Green Mountain. L’entreprise américaine est le principal concurrent de Nespresso sur le segment des capsules de café. Keurig avait connu son heure de gloire au début des années 90, avec l’introduction du concept des capsules sur le marché américain, avant de décliner après son rachat par Green Mountain, en 2006.

Le prix déboursé – deux fois plus élevé que la valeur boursière en fin de semaine dernière – peut sembler élevé. Pourtant, les patrons de JAB ne sont en rien des aventuriers: depuis des années, la holding travaille à la constitution d’un empire dans le café, investissant 30 milliards de dollars dans le secteur au cours des quatre dernières années, selon les calculs de l’agence Bloomberg. JAB possède déjà les marques Senseo, Tassimo, Carte Noire, Douwe Egberts et Jacobs, concurrentes de Nestlé. La holding est également engagée au capital de la chaîne américaine Peet’s Coffee & Tea et du concurrent de Starbuck Caribou Coffee.

«Une plateforme globale pour le café»

Keurig est pour JAB l’une des plus grosses acquisitions des dernières années. «Il s’agit de construire une plateforme globale dans le café, ce qui représente un pas important pour l’avenir de Keurig. L’objectif est de devenir numéro un ou deux sur le marché des grains et des capsules de café», explique Bart Becht, le patron de JAB Holding, au sujet de la nouvelle acquisition.

Le pouvoir d’investissement de JAB n’a pas surpris en Allemagne. Selon l’hebdomadaire Manager Magazin, les actifs de JAB ont augmenté de 3,6 milliards d’euros cette année, à 17,6 milliards. Aussi discret que la famille de ses actionnaires, JAB joue pourtant un rôle important dans la vie de millions de consommateurs, sans que ceux-ci n’en aient la moindre idée. Plus de 100 marques sont contrôlées par la holding. Qui boit le matin un café Jacobs, sucré avec Natreen, se parfume avec le dernier David Beckham, sort chaussé de Jimmy Choo, paie avec un porte-monnaie Bally, nettoie son intérieur avec Sagrotan, fait tourner son lave-vaisselle avec Calgonit, fait baisser la fièvre de ses enfants avec Nurofen et utilise des produits Scholl est client de JAB et des Reimann.

Les origines de JAB remontent à 1823, lorsque Johann Adam Benckiser (dont les initiales ont donné son nom à la holding) achète une entreprise d’ammoniac à Pforzheim, dans le sud-ouest de l’Allemagne. Le chimiste Ludwig Reimann rachète l’entreprise qui n’a plus quitté le giron familial depuis cinq générations. Le succès est largement lié à quelques inventions des années 50. Chimistes de père en fils, les Reimann ont notamment inventé Calgon et Calgonit ou encore la pate dentifrice Kukident. Aujourd’hui encore, on sait des Reimann qu’ils comptent en leurs rangs un certain nombre de professeurs en chimie. «Tout le reste est pure spéculation», assurent les proches de la famille.

La chimie d’abord, le luxe ensuite

Le décollage de JAB remonte aux années 80. Lorsque l’Allemand Peter Harf, 69 ans, arrive à la tête de la holding en 1981. «La question n’est pas de savoir si nous allions perdre notre indépendance mais quand», raconte le président de JAB au magazine Wirtschaftswoche. La crise économique avait frappé de plein fouet l’empire familial. Peter Harf décide d’entrer sur un nouveau marché. En 1992, il rachète pour 400 millions de dollars le parfumeur Coty à l’américain Pfizer. Le troisième pilier de la holding est aujourd’hui le luxe, avec des marques telles que Jimmy Choo ou Bally, réunies au sein de la filiale Labelux. «Une branche offre un maximum de chances lorsque sa croissance est indépendante de la conjoncture, qu’elle a des marques fortes, mais pas de leader clair sur le marché. Celui qui arrive à constituer de grandes unités est presque automatiquement gagnant», explique le diplômé de Harvard.

Peter Harf cultive un look de patron de start-up, reçoit l’été en chemise à fleurs, pieds nus dans ses sandales, dans un bureau des plus sobres, à proximité du palais de Buckingham, à Londres. La holding, inconnue du grand public, est l’une des plus profitables au monde, avec des avoirs d’une valeur de 30 milliards d’euros. L’entreprise n’a plus grand-chose à voir avec ses origines, à part quelques usines chimiques le long du Rhin.

Paradis fiscaux et invisibilité

Les Reimann ont depuis longtemps quitté le pays pour des paradis fiscaux. Leur empire siège au Luxembourg et en Autriche. Quatre fois par an, ces milliardaires boudant toute mondanité et dont il n’existe aucune photo se réunissent avec leurs managers pour s’informer de l’état de leur entreprise. Renonçant à tout dividende, ils réinvestissent tous les bénéfices dans la holding.