Le fascinant voyage d’«Outer Wilds», jeu vidéo d’exploration et d’archéologie spatiale
Test
Avec son système solaire de poche et son enquête de vingt-deux minutes mille fois recommencée, ce jeu offre une expérience inédite et inoubliable

C’est quoi le principe de ce jeu vidéo? Un défi à surmonter, un match à remporter, un «high score» à battre? Ou alors une expérience narrative, sorte de film interactif qui ne chercherait pas à mettre le joueur en difficulté, mais à lui raconter une histoire?
Les deux propositions existent, cohabitent, se mélangent souvent. Mais une troisième facette existe, du moins en théorie: le jeu vidéo en tant qu’espace virtuel, un monde alternatif régi par sa propre logique, ses propres lois, que le joueur est libre d’explorer. Rares sont les jeux à assumer de n’être que des mondes virtuels, sans combat, sans objectif clair et surtout, sans règle du jeu apparente. C’est pourtant le parti pris du fantastique Outer Wilds, sorti le 30 mai sur l’Epic Games Store et Xbox One.
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Multiples questions
Notre héros aux quatre yeux et à la peau squameuse appartient à la race des pionniers: c’est l’un des premiers représentants de son peuple à avoir le privilège de s’élancer à bord de son vaisseau bricolo à la découverte du système solaire, avec ses six planètes et sa cohorte de satellites plus ou moins naturels.
Il ne va pas tarder à le découvrir: un autre peuple aujourd’hui disparu a précédé le sien dans ce petit coin d’univers. D’où venaient-ils? Que cherchaient-ils? Qu’ont-ils fait, et où sont-ils passés? C’est le genre de questions auxquelles le joueur va devoir répondre, à force de tomber sur des ruines, de lire leurs écrits, ou en tentant de se servir des quelques machines fonctionnelles qu’ils ont laissées derrière eux.
Outer Wilds est un jeu d’exploration, mais aussi d’archéologie spatiale. Il ne nous dit jamais si on est sur la bonne piste, il ne vérifie pas qu’on a bien compris ce qui est en train de se jouer, nous laissant seuls avec nos déductions. Il ne relie pas les points pour nous: c’est au joueur de mettre en perspective les indices avant de comprendre le dessein ici à l’œuvre. En cela, il est un proche cousin du jeu d’enquête Return of the Obra Dinn – deuxième meilleur jeu de 2018 d’après l’équipe de Pixels, excusez du peu.
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Quête d’apparence simple
Mais on pourra très bien voir le bout de l’aventure sans vraiment avoir tout compris de l’histoire de nos glorieux prédécesseurs. Le but véritable, c’est en réalité de trouver (désolé pour le spoiler) un mystérieux «œil de l’univers». Une tâche finalement assez simple sur le papier: tous les indices sont là, dès le départ, pile sous les yeux du joueur. Encore faut-il qu’il les voie… Il va avoir vingt-deux minutes pour ça; vingt-deux minutes, répétées à l’infini.
Car on ne tardera pas à s’en rendre compte, Outer Wilds commence, pour une raison bien précise, vingt-deux minutes avant la fin du monde. Alors il faudra au joueur revivre ces vingt-deux minutes encore et encore, accumulant à chaque fois de nouveaux indices, comprenant peu à peu en quoi toutes ces planètes sont liées.
Planètes réussies
Surtout, il faudra assimiler les lois physiques qui régissent ce système solaire miniature, et exploiter des anomalies au départ incompréhensibles, voire invisibles, à son avantage. Ce n’est qu’au bout de vingt, cinquante, sans doute cent morts même, et autant de séquences d’exploration de vingt-deux minutes, que le chemin vers la conclusion se dessinera.
Alors on meurt, d’avoir trop attendu, ou d’avoir mal piloté, et on revit, se réveillant toujours au même moment, au même endroit, dans son sac de couchage près du pas de tir, alors qu’un éclair bleu zèbre la surface de la planète Leviathe qui passe au-dessus de notre tête.
Les planètes, ce sont les vraies réussites d’Outer Wilds. Il y a Leviathe déjà, gigantesque planète aquatique, parcourue de tornades qui expédient régulièrement ses (rares) îles dans l’espace. Il y a les Sablières aussi, deux planètes jumelles, reliées par un gigantesque siphon de sable, tandis que le désert de l’une remplit lentement mais sûrement la surface (et les cavernes) de l’autre. Il y a aussi Cravité, planète creuse menacée par sa lune en éruption, et dont les villes abandonnées sombrent les unes après les autres dans le trou noir qui lui sert de cœur.
Le plaisir de la découverte
Bref, impossible d’en dire plus sans dilvulgâcher ce qui fait l’intégralité du plaisir du jeu: celui de la découverte. Disons simplement que chaque astre, chaque objet stellaire, regorge de détails, de bonnes idées, de phénomènes météorologiques ou cosmologiques qu’on découvrira et qu’on apprendra à comprendre. Mais Outer Wilds est loin de n’être qu’un casse-tête: c’est une balade.
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Parce qu’elles sont toutes petites (les planètes font, à la louche, 1 kilomètre de diamètre en moyenne), et que tous ces phénomènes se déroulent à une échelle compréhensible par le cerveau humain, Outer Wilds est ainsi un jeu qui ouvre des perspectives inédites, réservant des moments de vertige authentiques. Il faut avoir vu le Soleil se lever sur les canyons de Sablière Rouge avant de passer juste au-dessus de sa tête pour prendre conscience de la dimension poétique de ces grosses boules de gaz, d’eau et de roches.
Alors oui, on meurt, on recommence, mais ce n’est pas grave. Outer Wilds est de toute façon un jeu de sale gamin qui aime faire des bêtises, mettre les doigts dans la prise de l’univers, sauter à pieds joints dans des trous noirs ou tordre à son avantage les lois de la physique quantique, comme ça, juste pour le plaisir d’expérimenter et de voir où cela le mène. Un jeu de poète d’abord, un jeu de gamin donc, mais surtout un jeu de scientifique, en somme.