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La fascination du bien et du mal

L’expérience littéraire d’une guerre avec la morale

Rencontrer Jacques Chessex n’était pas un moment de tout repos. Il y avait chez lui quelque chose qui empêchait d’adopter le ton de la simple conversation, parce qu’il semblait toujours en arrêt. Il avait dans les poches des carnets sur lesquels il notait parfois un mot, un vers, une phrase. Un geste d’écrivain, de tous les écrivains peut-être à l’ère du stylo à plume. Ses derniers livres, brefs, percutants, ils les avait écrits sur des crimes. Sur le mystère de la morale, parce que la morale était son problème et c’est, entre autres, ce qui le rattachait à la littérature.

Jacques Chessex dessinait aussi, il peignait. Il ne faisait pas qu’écrire. Il appartenait à ces artistes dont le monde premier est l’art. Sa guerre avec l’autorité de la morale n’était pas une simple question de choix dans la manière de se conduire, mais une question qui fermentait au fond de son chaudron littéraire. Georges Bataille, autrefois, a écrit un texte où, contemplant l’exécution d’un condamné, il tente de donner forme à ce qu’il éprouve. Chessex, à sa manière, poursuivait la même chimère.

Quand il poursuivait cette chimère, cette tentation du mal comme expérience littéraire, Jacques Chessex était avec d’autres écrivains, avec Baudelaire ou Barbey d’Aurevilly, parfois avec le Marquis de Sade. Avec ces auteurs qui affrontaient eux aussi la liberté, comme un espoir et comme un massacre. Tout dans son style et dans ses propos dit qu’il venait du XIXe siècle, et qu’il a porté jusqu’à nous des interrogations auxquelles ni ce siècle, ni le suivant, ni le nôtre n’ont donné encore de réponse.