La Réserve fédérale ouvre encore plus grand le robinet du crédit. Alors que le chômage, qui culmine à près de 10% et que la croissance (2% au deuxième trimestre) reste trop faible pour créer des emplois, la banque centrale américaine a décidé d’investir 600 milliards de dollars pour soutenir la croissance et limiter les risques de déflation. Une décision qui intervient au lendemain d’un revers électoral du président Obama, qui a perdu la majorité à la Chambre des représentants. Défaite notamment due à une économie qui peine à redémarrer.

Cette injection de liquidité prendra la forme de rachat de titres du Trésor américain à long terme, qui s’étaleront jusqu’à la fin du premier semestre de 2011. Elle investira 75 milliards par mois, tout en précisant «examiner régulièrement le rythme de ses achats de titres et la taille globale du programme d’achats d’actifs à la lumière des renseignements qui lui parviendront et ajuster le programme autant que nécessaire pour favoriser le niveau maximal d’emploi et la stabilité des prix», ont expliqué les membres du Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) dans un communiqué. L’institution continuera par ailleurs de réinvestir les montants des titres qu’elle détient et qui sont arrivés à échéance.

Justifiant ces mesures, la banque centrale a noté que «le rythme de la reprise de l’activité et de l’emploi continue d’être lent». En parallèle, elle a gardé son taux d’intérêt directeur inchangé (entre 0% et 0,25%).

Déjà 1700 milliards investis

Ce deuxième tour d’«assouplissement quantitatif» ou QE2 (pour quantitative easing) était largement attendu. Depuis plusieurs semaines, les discours de certains gouverneurs de la Fed avaient laissé entendre que de nouvelles mesures allaient être annoncées. Le marché avait d’abord tablé sur une enveloppe de mille milliards avant de revoir ses anticipations à un peu plus de 500 milliards.

Décidée à la fin 2008, la première vague de ces mesures l’avait conduit à injecter 1700 milliards de dollars (QE1) dans l’économie, via le rachat d’emprunts d’Etat ou d’emprunts immobiliers titrisés. Elle a ainsi déjà acquis pour près de 300 milliards de dollars de dette souveraine.

«La Fed ne voulait pas décevoir les attentes des marchés», explique Jan Poser, chef économiste à la banque Sarasin. Ce d’autant que l’hypothèse même d’un «QE2» avait déjà fait grimper les marchés actions de 15%.

«La Fed a voulu montrer son engagement à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter le risque déflationniste», explique Jan Poser. Car, depuis que bruit l’idée d’un nouveau plan d’assouplissement quantitatif, les données macroéconomiques ont montré un léger mieux. Egalement publié hier, l’indice ISM des directeurs d’achats dans les services a augmenté de manière inattendue. De même, la crainte d’un nouveau plongeon dans la récession, largement débattue il y a encore quelques semaines, semble avoir disparu. Dans ce contexte, «la Fed aurait peut-être pu attendre», explique Fabrizio Quirighetti, chef économiste chez Syz & Co.

L’imminence d’un nouveau programme de rachat d’actifs par la Fed a suscité de nombreuses critiques. Certains économistes, comme Martin Feldstein, professeur d’économie à Harvard, ont parlé d’un «pari dangereux» que prend la Fed en faisant tourner encore plus vite la planche à billets.

Avec cette politique, la banque centrale américaine prend le risque de provoquer une inflation incontrôlée, voire de financer la prochaine bulle. Pire, on ne connaît pas encore tous les dangers que comporte cette politique puisqu’elle n’a jamais été utilisée à une telle échelle.

Risque asymétrique

En ce qui concerne le renchérissement, il reste pour l’instant faible, affirme de son côté la Fed.

Fabrizio Quirighetti souligne cependant que le risque est asymétrique car il est plus facile de sortir de l’inflation que de la déflation. Dans ce contexte, la Fed s’achète une «assurance», dont elle n’aura pas forcément besoin. Quant au risque de bulle, il est réel: «La Fed est peut-être en train de planter les graines de la prochaine crise», explique-t-il. Mais dans la pesée des intérêts, la balance de la banque centrale semble pencher vers le risque de déflation. Quoi qu’il en soit, il existe une limite à cette politique. «Actuellement, la Fed ne peut pas trop en faire. Mais si ce nouveau programme s’avère inefficace, la crédibilité de l’institution en sera affectée et les attentes de déflation risquent de grimper», prévient Jan Poser.