«Nous ferons mieux»
Promis, affirmait le dirigeant, «il ne s’agit pas d’identifier des individus». Alors, pourquoi un tel quiproquo? «L’appel d’offres était formulé de manière très technique, avec des passages équivoques. Nous devrons faire mieux la prochaine fois», admettait Alexis Leuthold. Sur ce point essentiel, il faut croire les CFF, placés désormais sous surveillance par le préposé fédéral à la protection des données, ainsi que plusieurs collectifs de la société civile. En parallèle, il faut garder en mémoire que l’utilisation de la reconnaissance faciale, elle, se développe en Suisse: malgré ses approximations techniques, malgré ses biais, quatre polices cantonales, dont celles de Neuchâtel et Vaud, emploient cette technologie. Elle n’est toutefois pas utilisée de manière proactive et en temps réel, mais a posteriori, pour tenter d’identifier des individus sur la base de photos.
Une fois ce point éclairci, la question suivante est celle des moyens qui vont être employés dans 57 gares, avec une mise en service dès septembre prochain. Les capteurs – dont la nature reste à déterminer – permettront de savoir beaucoup de choses, admettent les CFF eux-mêmes: le nombre de poussettes sur un quai, la présence de voyageurs avec des skis ou des vélos. Bien sûr, ces capteurs seront aussi capables de mesurer le nombre de personnes à un endroit et leurs vitesse et sens de déplacement. Mais ce n’est pas tout: les CFF pourront connaître le genre, l’âge ou la taille. Comment l’ex-régie obtiendra-t-elle ces informations? Avec quel degré de fiabilité? Et ces données risquent-elles d’être croisées avec d’autres informations? Pour l’heure, les CFF n’apportent aucune réponse à ces questions fondamentales.
A des fins commerciales
Un autre problème se pose: pourquoi récolter de telles données? L’entreprise met en avant l’argument de la sécurité, sans le développer. Et admet à demi-mot que ces informations pourront être utilisées à des fins commerciales, pour louer au mieux des surfaces dans les gares. Même anonymisées, ces données, utilisées par une entreprise en mains de l’Etat à des fins commerciales, suscitent des questions légitimes.
En parallèle, il ne faut pas sous-estimer la puissance des outils technologiques. Nous l’évoquions en novembre 2021: une firme suisse, Analysis Simulation Engineering, qui travaille d’ailleurs pour les CFF, est capable, via ses capteurs, de différencier les employés des clients en se basant sur leurs mouvements, d’analyser dans quelle direction regardent ces personnes et de détecter si elles portent ou non un masque.
L’exemple de Crans-Montana
Autre question: ce phénomène est-il nouveau? Réponse: non, mais ce type de contrôle ou de mesure de masse atteint une précision sans précédent, grâce à l’évolution de la technologie. Depuis une dizaine d’années déjà, en utilisant les signaux Bluetooth des téléphones, des magasins, y compris en Suisse, étudient les déplacements des clients.
De plus, Swisscom continue à développer son offre appelée Mobility Insights en se basant sur l’analyse, anonymisée, des déplacements de ses clients en téléphonie mobile. L’opérateur, qui se targue d’analyser 20 milliards d’interactions sur son réseau chaque jour, peut ainsi fournir des données précises. Il donne ainsi l’exemple de la station de Crans-Montana: il a réussi à déterminer facilement que durant les fêtes de fin d’année 78,54% des visiteurs venaient de Suisse, 6,31% d’Italie ou encore 3,58% des Pays-Bas. De plus, 15% de ces visiteurs effectuaient juste avant un arrêt à Sion ou Sierre – sans doute pour des achats, selon Swisscom. Autre exemple: lors du Montreux Jazz Festival de 2019, toujours selon Swisscom, 22% des visiteurs avaient moins de 20 ans et 27% avaient entre 21 et 40 ans.
Sans que l’on s’en rende vraiment compte, nos données de déplacement sont scrutées de plus en plus précisément. Mais jamais un projet aussi avancé que celui des CFF n’a été lancé en Suisse…
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