Publicité
Contenu partenaire
Contenu produit et commercialisé pour un partenaire. Réalisé indépendamment de la rédaction du Temps. Voir notre charte des Partenariats

Finance et durabilité, mode d’emploi

Les réglementations et les attentes des clients incitent les acteurs financiers à se positionner en matière de placements responsables et à adapter leur offre de services et de produits. Un virage complexe qui, pour devenir décisif, nécessite aussi une implication des autres parties prenantes, dont la politique

Estelle Blanc-Paque, experte ISR à la BCV. — © BCV
Estelle Blanc-Paque, experte ISR à la BCV. — © BCV

La finance peut-elle changer le monde pour le rendre plus durable? Du côté du secteur financier, on a en tout cas pris conscience des enjeux. La mise en place d’un cadre incitatif en matière d’investissement socialement responsable (ISR) progresse. Pour la clientèle, si le rendement reste important, la recherche d’investissements produisant des changements positifs est de plus en plus fréquente. Nous faisons le point avec Estelle Blanc-Paque, experte ISR à la BCV. Active auparavant au World Economic Forum en tant que spécialiste de projet dans le domaine de la décarbonation de l’énergie et des matériaux, elle coordonne la mise en œuvre des activités liées à l’ISR afin de répondre aux attentes de la clientèle privée et institutionnelle de la banque et aux diverses parties prenantes. Interview.

Le Temps: De manière générale, remarquez-vous un intérêt en matière d’ISR auprès de votre clientèle?

Estelle Blanc-Paque: Oui. Nous remarquons que les attentes des investisseurs évoluent dans le sens de l’investissement responsable, notamment depuis trois ou quatre ans. La clientèle institutionnelle, telle que les caisses de pension, a souvent une approche plus structurée, avec une stratégie dans ce domaine, voire une charte de durabilité, qui stipule par exemple les approches à privilégier dans les choix de placements répondant aux critères sociaux, environnementaux et de gouvernance (ESG). Du côté de la clientèle privée, l’intérêt croît également. Lors de l’établissement de leur profil d’investisseur, nous demandons systématiquement à nos clientes et nos clients de préciser leurs attentes en matière d’investissement responsable, en plus des questions traditionnelles concernant leurs objectifs de placement, leur aversion au risque, leur capacité financière, etc. Nous constatons que si, souvent, le rendement prime, les préoccupations en matière de durabilité sont de plus en plus intégrées aux réflexions sur la gestion de leur portefeuille.

Que dire du cadre réglementaire? Sans obligations légales, comment inciter la branche à se positionner de manière décisive dans des segments durables?

Le secteur financier assume ses responsabilités et s’organise au travers des initiatives de ses organisations professionnelles. Ainsi, l’Association suisse des banquiers, l’Asset Management Association Switzerland ou encore Swiss Sustainable Finance ont établi un certain nombre de recommandations et autorégulations visant à clarifier les notions et approches de durabilité ainsi que les bonnes pratiques en matière d’intégration des aspects extra-financiers dans l’analyse des entreprises dans lesquelles investir. Des réflexions commencent aussi à se mettre en place au niveau fédéral, notamment en s’inspirant du cadre réglementaire européen, plus poussé et contraignant. Nous ne sommes qu’au début d’un long processus.

Qu’est-ce que ces évolutions signifient concrètement pour la clientèle?

Les acteurs bancaires mettent à sa disposition toujours davantage de produits et de services d’investissement lui permettant de se positionner dans ces segments durables. Mais, il s’agit aussi – et surtout – de l’accompagner, d’être en mesure de l’informer de manière claire, continue et complètement transparente, tant sur les possibilités d’investissement que sur les impacts réels de ses placements. L’important est que l’investisseur sache ce qu’il va financer et que ses attentes en matière de durabilité soient connues et prises en compte dans le processus d’investissement.

En prônant une transparence complète, comment expliquer que les titres de groupes pétroliers peuvent se trouver dans des fonds d’investissement estampillés ESG?

Ces trois lettres signifient que ces fonds sont construits en tenant compte également d’une analyse extra-financière, soit de l’exposition des entreprises aux risques ESG et à la manière dont elles les gèrent. Cette démarche repose essentiellement sur les notes ESG attribuées par les agences de notation, généralement par rapport à leurs pairs, ainsi que sur les rapports fournis par les entreprises. Ainsi, une note ESG mesure la résilience d’une entreprise face aux risques ESG à long terme et n’est pas une mesure générale de durabilité. Cependant, elle vise aussi à contribuer à un cercle vertueux incitant les entreprises à améliorer leurs pratiques et à faire évoluer leur modèle d’affaires en direction d’une transition vers une économie durable.

La décision d’inclure ou pas une entreprise dans un fonds ne repose par ailleurs pas uniquement sur une analyse du présent, mais prend aussi en compte l’avenir. Même si cela peut paraître contradictoire, certains grands groupes aujourd’hui actifs dans l’exploitation des hydrocarbures font aussi partie des entreprises bien outillées pour participer à la transition énergétique. L’essentiel pour la clientèle revient à comprendre dans quoi elle investit, ce que cela implique et si cela est en adéquation avec ses attentes. L’éventail des produits disponibles permet de trouver les outils correspondant à ses attentes. Certains produits vont plus loin que d’autres.

D’un point de vue financier, l’ISR permet-il finalement de diminuer les risques?

Ajouter l’analyse ESG à l’analyse purement financière permet de renforcer la stabilité des portefeuilles sur le long terme. Les entreprises sont toujours plus encadrées et régulées d’un point de vue de la durabilité. Aligner la stratégie d’investissement sur cette dynamique permet de mieux anticiper et gérer les risques pour l’investisseur.

Comment assurer l’implémentation d’une politique ISR?

Plusieurs leviers peuvent être activés selon les objectifs de durabilité de la clientèle. Il y a d’abord des principes tels que l’exclusion sectorielle et normative, soit de décider de ne pas investir dans des secteurs non vertueux ni dans des entreprises ayant violé des conventions, des normes ou des réglementations. Il est également possible de déployer une approche de filtrage positif, consistant à sélectionner les titres de sociétés bénéficiant des meilleures notations ESG. Avec l’actionnariat actif, les investisseurs s’engagent à voter lors des assemblées générales et à ouvrir le dialogue avec le management sur l’intégration des thématiques ESG dans les stratégies et processus. Enfin, avec l’investissement thématique, les placements sont concentrés sur des problématiques ciblées, comme le climat et les énergies renouvelables, ou sur des enjeux sociétaux, tels que l’égalité salariale.

La finance est souvent décrite comme étant capable de changer le monde et de le rendre plus durable. Quel est votre sentiment?

Imaginer que la finance y parvienne seule n’est guère réaliste. In fine, le succès de la transition vers une économie plus durable – selon les axes économiques, sociétaux et environnementaux, pour reprendre la définition de base – dépend de la capacité et de la volonté de la société à financer son déploiement à tous les niveaux. La finance a un rôle à jouer, mais elle n’est pas une baguette magique, car elle reflète l’organisation de notre société et de l’économie réelle. Il est important que certaines impulsions soient données par les instances politiques. Prenons l’exemple d’un domaine clé comme celui de l’immobilier. Le remplacement de certains matériaux de construction ou de technologies énergétiques problématiques d’un point de vue environnemental permettrait de doper l’investissement dans des filières plus durables. Tant que la société n’a pas fait ce choix, il est difficile d’attendre de la finance qu’elle puisse à elle seule changer la donne.

En conclusion, quel est le risque pour une banque de ne pas prendre le virage de l’ISR?

Il y a le risque de perdre des parts de marché, du côté de la clientèle institutionnelle ou privée. Mais, il y a aussi les questions de la réputation, de la crédibilité et de la légitimité. Il faut en revanche être conscient que prendre le virage de l’ISR constitue un engagement; les risques liés à l’écoblanchiment peuvent rapidement donner lieu à un retour de flamme, que ce soit auprès de la clientèle ou des instances de surveillance. A la BCV, nous sommes convaincus que l’ISR peut et doit être mené de manière rigoureuse, sans compromettre les rendements à long terme et en soignant la transparence.