Une nouvelle bataille s’engage pour UBS face à la justice française. A peine le jugement en première instance venait-il de tomber, mercredi vers 14h30, que les avocats de la première banque de gestion de fortune mondiale ont aussitôt annoncé leur intention d’interjeter appel. Place, donc, à une nouvelle séquence judiciaire dans l’espoir d’effacer cette journée «noire» marquée par une condamnation record devant la 32e Chambre du Tribunal de grande instance de Paris, à l’issue du procès qui s’est tenu du 8 octobre au 15 novembre 2018. Le jugement avait été mis en délibéré.

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Une seule personne acquittée

Reconnue coupable de «blanchiment aggravé de fraude fiscale» et de «démarchage bancaire illégal» entre 2004 et 2011, UBS AG devra acquitter 3,7 milliards d’euros d’amende. Sa filiale française UBS France, reconnue coupable de «complicité» de ces deux délits entre 2004 et 2009, devra, elle, acquitter 15 millions d’euros d’amende. Des peines en tout point conformes aux réquisitions des deux co-procureurs du Parquet national financier français (PNF).

S’y ajoutent, pour les deux établissements, l’obligation de payer 800 millions d’euros de dommages et intérêts à l’Etat français, soit la moitié de la somme réclamée par ses avocats. Un seul des six ex-cadres et dirigeants de la banque, l’ancien patron de la gestion de fortune chez UBS AG Raoul Weil, a été acquitté, comme cela avait été le cas à l’issue de son procès aux Etats-Unis (Floride) en novembre 2004.


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Jugement accablant

Lu en moins de quarante minutes par la présidente du tribunal, Christine Mée, le jugement est accablant. Toutes les exceptions d’irrecevabilité, de nullité des procédures ou de nullité d’un des témoignages (le témoin anonyme 119 mentionné dans le dossier) soulevées par les avocats de la défense ont été rejetées.

La culpabilité d’UBS AG est dès lors flagrante selon la justice pour laquelle la banque suisse est «pénalement responsable des faits de démarchage et de blanchiment aggravé qui trouvent leur source dans une organisation intégrée, verticale et systémique» destinée à contourner les législations fiscales françaises et européennes. Des «fautes pénales d’une exceptionnelle gravité». UBS AG et UBS France ayant fait «prévaloir leurs intérêts économiques sur ceux de l’Etat français».

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Amende record

L’amende infligée à UBS AG est la plus importante jamais prononcée à ce jour par un tribunal français. Elle équivaut à plus du triple de la caution de 1,1 milliard d’euros versée par la banque en septembre 2014. La banque et le PNF n’étaient pas parvenus à un accord transactionnel hors tribunaux, contrairement à ce qui s’était passé aux Etats-Unis (où la banque a payé 780 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites en 2009) et en Allemagne (300 millions d’euros acquittés en 2014).

Les 3,7 milliards d’euros d’amende correspondent au montant des avoirs régularisés au 30 octobre 2015 par 3983 contribuables français, ex-titulaires de comptes chez UBS, cités dans l’ordonnance de renvoi en procès. Aucun d’entre eux n’est toutefois venu témoigner à la barre durant les débats.

Contestation vigoureuse

Assommés par ce jugement qualifié à la sortie de l’audience «d’incompréhensible» par le directeur des affaires juridiques d’UBS, Markus Diethelm, les avocats des deux banques ont annoncé leur intention d’interjeter appel dans un long communiqué.

«UBS conteste vigoureusement ce jugement. La banque a réfuté de manière constante toute infraction dans ce dossier, et ce depuis le début de l’instruction et pendant le procès. Cette condamnation n’est étayée par aucune preuve concrète mais repose au contraire sur des allégations infondées de la part d’anciens employés de la banque qui n’ont même pas été entendus durant le procès, déplore la banque helvétique. Aucune preuve n’a été apportée qu’un client français ait été démarché sur le territoire français par un chargé d’affaires d’UBS AG dans le but d’ouvrir un compte en Suisse.»

Briefing jeudi

UBS, qui tiendra jeudi un briefing plus complet pour expliciter sa position, s’en tient donc à la ligne qui a été la sienne tout au long du procès: son strict respect de la législation helvétique:

«Comme aucune infraction n’a été constatée en France, cette décision revient à appliquer le droit français en Suisse. Elle porte atteinte à la souveraineté du droit suisse et pose d’importantes questions de territorialité. Le jugement rendu ne parvient pas à s’écarter d’idées préconçues, en incriminant la banque pour avoir proposé certains services qui sont légitimes et standards au regard du droit suisse et qui sont également couramment utilisés dans d’autres juridictions. […] L’accusation de blanchiment de fraude fiscale est sans fondement dès lors que le délit préalable de fraude fiscale commise par des contribuables français n’a pas été prouvé.» Un constat contredit par le parquet, qui s’est toujours basé, lui, sur les flux financiers avérés entre la France et la Confédération.

Cadres condamnés

A l’exception de Raoul Weil, dont la position hiérarchique ne permettait pas selon les juges de connaître exactement le profil des clients, les cinq autres anciens cadres et dirigeants de la banque impliqués dans la gestion des comptes français ont été eux aussi condamnés aux peines maximales demandées. Dieter Kiefer, ancien responsable de la division Europe de l’Ouest d’UBS France, écope ainsi de 18 mois de prison avec sursis et 300 000 euros d’amende.

L’ancien directeur commercial d’UBS France Patrick de Fayet, qui avait tenté de plaider coupable, écope, lui, de 12 mois de prison avec sursis et 200 000 euros d’amende. Des peines de prison avec sursis et des amendes ont aussi été prononcées contre les trois autres ex-employés d’UBS prévenus.