L’opération de sauvetage de Credit Suisse annoncée dimanche soir a provoqué l’indignation d’actionnaires de la banque en difficulté et de politiciens. Pour achever le rachat de la banque en difficulté par UBS avant l’ouverture des marchés, la plupart des détenteurs des titres des deux banques n’ont pas été consultés. Le rachat sous la forme d’un échange d’actions a été validé par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) sur la base d’une ordonnance prise par le Conseil fédéral. Une situation dénoncée par certains comme une atteinte au droit des actionnaires.

«Ce rachat s’effectue sous la forme d’une fusion-acquisition avec un paiement par le biais d’un échange d’actions. Il s’agit d’un contrat entre deux entreprises privées, qui aurait normalement dû être adopté par les assemblées générales des actionnaires des deux banques, rappelle Luc Thévenoz, directeur du Centre de droit bancaire et financier de l’université de Genève. Mais le Conseil fédéral a publié une ordonnance qui prévoit, si c’est nécessaire pour protéger l’économie et la stabilité du système financier suisse, que l’approbation de la Finma au contrat de fusion remplace les deux assemblées générales.»

Datée du 16 mars, cette ordonnance n’a pas immédiatement été rendue publique mais a été mise en ligne dimanche. C’est aussi ce texte qui encadre l’ensemble des soutiens accordés à la banque en difficulté par la Banque nationale suisse (BNS) mercredi soir, ainsi que les garanties financières apportées à UBS. Des décisions qui reposent sur le droit dit «de nécessité» prévu par la Constitution aux articles 184 et 185, déjà employé pendant la crise du covid.

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«Comme cette ordonnance relève du droit d’urgence, le Conseil fédéral devra soumettre un projet de loi au parlement dans les six mois. On ne peut pas exclure que le parlement, sur cette question comme sur d’autres, adopte une position différente de celle du Conseil fédéral», précise Luc Thévenoz. Toutefois, l’absence de transposition de ce texte dans le droit n’annulerait pas automatiquement la règle de l’ordonnance permettant à la Finma de décider à la place des deux assemblées générales, estime le professeur de droit.

En Suisse, des poursuites compliquées

Si le Conseil fédéral invoque l’urgence pour justifier ses décisions, certains actionnaires envisagent déjà des suites judiciaires. Dans un communiqué publié ce lundi, la fondation Ethos, qui représente des caisses de pension helvétiques actionnaires de Credit Suisse, affirme: «Toutes les options vont être étudiées dans les prochains jours, y compris juridiques, pour déterminer les responsabilités de cette débâcle.»

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Les actions qui peuvent être menées restent cependant floues. «Nous sommes en train d’étudier cette question avec des avocats spécialisés. Les possibilités sont toutefois très limitées en droit suisse et il y a peu de chances qu’une action en justice puisse aboutir, reconnaît Vincent Kauffmann, directeur de la fondation. Il semble impossible de démontrer que le Conseil fédéral n’a pas agi dans le meilleur intérêt de la Suisse.»

Interrogé par Blick, Peter V. Kunz, professeur ordinaire de droit des affaires à l’Université de Berne, estime pour sa part qu’il «est fort possible que les Saoudiens intentent une action directe contre la Confédération» ou encore de voir de petits actionnaires initier une plainte collective aux Etats-Unis. Jeudi déjà, des actionnaires américains ont attaqué la banque l’accusant d’avoir dissimulé ses problèmes financiers. Ce principe de class action n’existant pas en Suisse, les possibilités semblent limitées.

Des obligations annulées

La contestation d’une intervention d’urgence des autorités fédérales à cependant déjà des précédents. En 2008, l’Internal Revenue Service (l’administration fiscale des Etats-Unis) américain avait demandé aux autorités suisses les noms de clients américains d’UBS soupçonnés de fraude fiscale. Face aux menaces judiciaires planant sur la banque, les autorités fédérales avaient demandé à l’ancêtre de la Finma d’éviter un effondrement de la banque, ce qui s’était traduit par la transmission du nom de ces clients. Dans un premier temps, le Tribunal administratif fédéral avait bloqué l’envoi des dossiers après des recours des concernés, mais un vote au parlement a fini par entériner l’accord d’entraide administrative avec les Etats-Unis.

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Un autre point suscite également de nombreuses interrogations autour des détenteurs d'obligations dites AT1 (Additional Tier 1, forme d'obligation émise par une banque pour renforcer ses capitaux sans émettre de fonds propres née après la crise de 2008) de Credit Suisse. Lors de l'annonce du rachat, il a été indiqué que celle-ci seraient annulées, faisant perdre au total 16 milliards de francs à leur détenteur. «C’est un peu surprenant. Normalement, les pertes sont supportées en priorité par les actionnaires et ensuite seulement par les créanciers», note Luc Thévenoz. Les AT1 sont normalement conçues pour être converties en action en cas de difficulté.

Face à l'inquiétude qui a entouré ces produits financiers suite à cette décision, le Conseil de résolution unique, l'Autorité bancaire européenne et la Banque centrale européenne ont publié un communiqué lundi matin affirmant que les actionnaires continueront d'être les premiers à absorber les pertes avant que l'on ne touche aux obligations.