En déposant ce recours, le fisc fédéral explique vouloir obtenir «une sécurité juridique pour ce type d’assistance administrative par le biais d’un jugement définitif de la Cour suprême», dans un e-mail envoyé au Temps et à d’autres médias. Depuis la fin du secret bancaire, l’administration fiscale fédérale est en effet prise entre deux feux. D’un côté, la place financière l’accuse de transmettre trop facilement des données bancaires à l’étranger. De l’autre, les pays étrangers la mettent sous pression pour obtenir des renseignements sur les agissements frauduleux de leurs contribuables avant 2017. A partir de cette date, l’échange automatique de renseignements bancaires rend inutiles les demandes d’entraide.
Données obtenues en Allemagne
Pour le fiscaliste Philippe Mantel, «il est problématique que l’AFC aille aussi loin dans la défense des intérêts d’un autre Etat, qui attaque une industrie importante pour notre pays, l’industrie bancaire. On a l’impression que le fisc fédéral cherche surtout à donner des gages aux pays étrangers.»
Dans cette affaire, le fisc français voulait obtenir les noms des détenteurs d’environ 40 000 comptes hébergés par UBS et dont il pense qu’ils sont des contribuables tricolores. Paris avait basé sa demande sur une liste de ces numéros de comptes, qui affichent un suffixe associé à la France. Ces données avaient été obtenues par les autorités allemandes dans une filiale d’UBS à Francfort, puis transmises à la France.
Admise par l’AFC en février 2018, cette requête a été contestée par UBS et certaines des personnes visées, qui ont saisi le Tribunal administratif fédéral (TAF). Elles craignaient notamment que la France utilise ces informations dans le futur procès d’UBS AG, qui doit se tenir du 8 octobre au 15 novembre prochains à Paris.
Inspiré du Tribunal fédéral
Poursuivie pour démarchage illicite et blanchiment aggravé de fraude fiscale, la banque est soupçonnée d’avoir facilité la fraude de résidents français entre 2004 et 2012. UBS s’était acquittée d’une caution de 1,1 milliard d’euros (1,25 milliard de francs) dans ce dossier, à l’automne 2014.
Dans son arrêt publié le 31 juillet, le TAF a estimé que la France n’avait pas suffisamment démontré pourquoi les détenteurs de ces comptes pouvaient être considérés comme des fraudeurs. La simple détention de comptes en Suisse n’est pas un motif suffisant, a estimé en substance la Cour dans une longue décision qui s’appuie sur la jurisprudence du Tribunal fédéral (TF). Ce dernier point fait que l’arrêt du TAF sera difficile à casser, car il reprend des arguments que le TF a utilisés dans des dossiers similaires, estime un autre fiscaliste, qui préfère rester anonyme. N’étant pas partie prenante dans la procédure suisse, la France n’a pas pu faire appel de la décision du TAF.
Historiquement, la Suisse ne répondait aux demandes d’entraide qu’en cas de fraude fiscale. Sous la pression des pays de l’OCDE après la crise financière de 2008, Berne a élargi sa coopération aux cas de soustraction en mars 2009, puis aux demandes groupées en 2013. A condition que celles-ci décrivent un faisceau de comportements laissant penser que le groupe de contribuables concerné fraude le fisc. Il peut s’agir – pour prendre un exemple réel – de l’utilisation de cartes de crédit uniquement pour retirer du liquide dans des appareils situés près de la frontière de leur pays et qui n’étaient pas dans le champ de caméras de surveillance.