Anciens administrateurs de la défunte Swissair: «y'en n'avait vraiment point comme eux!»
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Le conseil de la compagnie faillie cumulait tous les défauts. Ceux-ci persistent dans des sociétés publiques.
Voici trois aspects de la débâcle de Swissair dont on ne parle pas assez: Le syndrome «Y en n'avait point comme eux!», l'incompétence et l'absence de responsables avec le minimum de qualités humaines nécessaires.
L'analyse superficielle de la composition de la Direction Générale et du Conseil d'Administration de Swissair d'un point de vue traditionnel nous conduit à la conclusion erronée qu'il n'y avait pas mieux en Suisse:
• En 2001, Philippe Bruggisser passe encore pour une star de l'extraordinaire consultant McKinsey,
• Super Mario Corti, diplômé de Harvard, a été sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères de la Confédération avant de devenir un brillant directeur financier du Groupe Nestlé,
• Vreni Spoerry a été une remarquable conseillère aux Etats,
• Eric Honegger est le fils d'un président de la Confédération,
• Lukas Mühlemann est directeur général et président du Crédit Suisse, lui aussi est considéré comme une «star» dans son domaine,
• Thomas Schmidheiny est fils d'un des fondateurs de Swissair et c'est aussi l'excellent propriétaire et patron du Groupe Holcim,
• Bénédict Hentsch descend d'une remarquable lignée de banquiers privés, il est diplômé de Saint-Gall et parle dialecte.
• Il y a aussi le président d'économiesuisse, et bien d'autres.
Le gratin!
Mais forts de la conviction largement partagée autour d'eux qu'«Y en n'a point comme eux!» ces directeurs généraux et membres du conseil d'administration de Swissair se sont crus capables de gérer, puis de redresser la société. Or aucun d'entre eux n'a jamais eu la moindre expérience de direction d'une compagnie aérienne (Mario Corti a un brevet de pilote privé!), aucun des deux patrons (Bruggisser et Corti) n'a eu au préalable la responsabilité de diriger une grande entreprise. Plus grave, les nombreuses relations professionnelles croisées et les intérêts communs entre les administrateurs les privent d'indépendance de jugement et d'esprit critique.
Quelle grande entreprise mondiale autre que Swissair accepterait d'être dirigée par des directeurs généraux qui n'ont pas la moindre expérience directe dans son domaine d'activité et qui, de plus, n'ont jamais dirigé des entreprises de taille comparable avec succès? Avant de prendre la direction de Swissair, Philippe Bruggisser était consultant chez McKinsey et Mario Corti directeur financier chez Nestlé, sans avoir jamais eu de responsabilités de direction générale ni l'un, ni l'autre. Ils n'ont pas pu s'appuyer sur l'un ou l'autre des membres du conseil qui aurait disposé d'une solide connaissance du milieu très concurrentiel du transport aérien, puisqu'il n'y en avait pas.
Voici comment des personnalités aussi remarquables ont pu être aussi mauvaises:
• Le mépris des règles les plus élémentaires de bonne gouvernance d'entreprise: absence de toute compétence professionnelle dans le métier de la société et origines professionnelles, politiques, nationales et économiques incestueuses.
• L'arrogance de croire qu'il suffit que Swissair prenne en charge des sociétés en faillite pour en faire des poules aux œufs d'or, en sous-estimant gravement les difficultés et les coûts, par méconnaissance évidente du marché du transport aérien et de la concurrence.
• L'absence de toute personnalité qui aurait eu la capacité de se lever et d'attirer l'attention sur les problèmes et les incompétences. Les accusés du procès Swissair font tous preuve d'un grand sens de leur intérêt. Aucun n'a su prendre le risque de défendre l'intérêt des actionnaires et celui du pays.
Une autre affaire Swissair serait-elle encore possible aujourd'hui? A mon avis, le procès ne met pas suffisamment en évidence les règles de gouvernance d'entreprise qui ont été violées et qui ont eu les conséquences que nous connaissons pour faire rapidement évoluer les habitudes. Je ne crois pas non plus que de ce point de vue on ait tiré toutes les leçons de la débâcle de la BCV et de la BCGE. Nos enquêtes annuelles nous permettent de mesurer l'évolution rapide de la gouvernance d'entreprise dans les sociétés les mieux dirigées, mais ce changement est peu perceptible dans les sociétés publiques.
Les actionnaires sont désormais en droit d'exiger que les administrateurs aient une solide compétence, une formation à la fonction de membre d'un conseil d'administration et un engagement dans le temps qui permette d'acquérir une connaissance approfondie de la société. Le processus de prise des décisions les plus importantes se doit d'être équilibré et prudent en sollicitant la participation du conseil d'administration.
La gouvernance d'entreprise évolue. C'est une préoccupation essentielle de chaque entreprise. Le mépris de ses principes les plus élémentaires par les accusés du procès Swissair est la première cause de cet immense échec.