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Comment les Anglo-Saxons ont gagné la bataille des ETF

Durant des années, les partisans des fonds indiciels à réplication physique et leurs concurrents favorables à une réplication synthétique se sont opposés en pointant du doigt les risques de leurs modèles respectifs. Une guerre des mots qui s’est finalement soldée par une conversion massive des premiers vers les seconds

La bataille a bien été remportée par le modèle anglo-saxon. «Aujourd’hui, les investisseurs ont une préférence pour les ETF à réplication physique», confirme Hortense Bioy, responsable de recherche ETF chez Morningstar Europe. — © Getty Images / Christopher Furlong
La bataille a bien été remportée par le modèle anglo-saxon. «Aujourd’hui, les investisseurs ont une préférence pour les ETF à réplication physique», confirme Hortense Bioy, responsable de recherche ETF chez Morningstar Europe. — © Getty Images / Christopher Furlong

C’est un tournant qu’a connu l’industrie des fonds indiciels – ETF pour «Exchange Traded Fund» dans le jargon – fin 2015. Le gérant d’actifs français Lyxor, pionnier des ETF à réplication synthétique (qui ne détiennent pas les titres de l’indice dont ils sont sensés répliquer la performance), annonçait la conversion de son produit phare sur les actions européennes (7,6 milliards d’euros d’encours) à un modèle de réplication physique (qui détient tout ou une partie des titres de l’indice sous-jacent).

Le groupe, qui s’était engagé dans cette voie dès 2012 pour ce qui concerne les fonds obligataires, indiquait dans la foulée que la moitié de ses actifs (soit 25 milliards d’euros) seraient détenus en réplication physique d’ici la fin 2016.

Ce changement de cap couronnait en quelque sorte la victoire des fonds à réplication physique sur leurs concurrents à réplication synthétique. D’autant que Deutsche Bank, autre géant européen du secteur, s’était engagé sur la même voie.

La bataille fratricide trouve ses racines dans la crise financière de 2008. Les géants américains de la gestion passive, à commencer par iShares, se sont alors mis à critiquer vertement – à coups de campagne marketing – les ETF synthétiques et les risques de contrepartie qu’ils représentent. Un discours qui trouvait d’autant plus d’écho qu’à cette époque tout le monde craignait la faillite d’une grande banque et que les régulateurs financiers s’interrogeaient eux-mêmes quant à la manière dont fonctionnaient ces produits financiers.

Le risque de contrepartie

Développés dans les années 2000, les ETF synthétiques promettent aux investisseurs une réplique de la performance d’un indice, tels que le CAC 40 ou l’Euro Stoxx 50, sans pour autant qu’il leur soit nécessaire d’acheter les titres qui le composent. A la place, les émetteurs de ces fonds demandent à des banques de leur délivrer la même performance que l’indice en échange de titres qui n’ont rien à voir avec celui-ci. C’est ce que l’on appelle des «swaps» de performance. Et c’est eux qui représentent un risque de contrepartie si la banque devait faire défaut.

Face aux accusations, la réplique du camp opposé n’a pas tardé, rappelle Jean-René Giraud, directeur général de la société de conseil en investissement Koris International à Paris. «Les fournisseurs d’ETF synthétiques ont d’abord affirmé que le risque de contrepartie, bien réel, était dûment géré à l’aide d’un collatéral, souligne-t-il. Ils ont surtout pointé à leur tour le risque de contrepartie qui est également inhérent aux ETF à réplication physique.»

Car les gérants d’ETF physiques, qui doivent acheter les titres de l’indice sous-jacent, ne les laissent pas dormir sur un compte. Ils les prêtent à des banques qui, elles, les vendent à découvert; d’où le risque de contrepartie. «Or, pendant longtemps les revenus ainsi générés avaient tendance à revenir aux seuls gérants tandis que le risque était supporté par les clients», précise Jean-René Giraud, qui dirige également TrackInsight, un moteur qui permet aux institutionnels d’étudier la qualité de réplication des fonds indiciels cotés. Résultat de cette contre-offensive: les pratiques ont évolué et les gérants d’ETF physiques reversent désormais une partie de ces revenus à leurs clients.

L’effet Lehman Brothers

Reste que la bataille a bien été remportée par le modèle anglo-saxon. «Aujourd’hui, les investisseurs ont une préférence pour les ETF à réplication physique, confirme Hortense Bioy, responsable de recherche ETF chez Morningstar Europe. D’une part, ils sont plus faciles à comprendre. D’autre part, après Lehman Brothers les investisseurs ont eu tendance à vouloir éviter tout risque de contrepartie, aussi infime soit-il, lié à une banque.»

Les statistiques confirment cette tendance: depuis l’été 2015, les ETF à réplication physique en Europe ont dépassé en nombre ceux à réplication synthétique, ce qui n’était pas arrivé depuis janvier 2008. Et à regarder les chiffres mensuels publiés par Deutsche Bank, la tendance n’est pas près de s’inverser. Au mois d’août, 839 ETF physiques étaient ainsi disponibles sur le marché européen pour 692 ETF synthétiques. En termes d’actifs, les premières représentent désormais 362,4 milliards d’euros contre 118,7 milliards pour les secondes. Des montants qui étaient respectivement de 335,2 et 115,9 milliards fin 2015.

Alignement des prix

Outre les risques de contrepartie, les ETF synthétiques ont également pâti du coût des «swaps» qui a augmenté en Europe ces dernières années suite au durcissement réglementaire, souligne Hortense Bioy.

Responsable de iShares pour la Suisse alémanique, Sven Württemberger confirme lui aussi que si les ETF synthétiques pouvaient être auparavant un peu moins chers que les ETF physiques, tel n’est plus le cas aujourd’hui. «Avec l’afflux de fonds et les progrès opérationnels qui ont été réalisés ces dernières années, les prix entre les deux modèles se sont alignés», assure-t-il.

Même si iShares appartient au camp des vainqueurs avec un seul ETF synthétique sur les 290 fonds qu’il propose à ses clients européens, Sven Württemberger reconnaît, comme tous les experts interrogés dans le cadre de cet article, que ces derniers ne sont pas près de disparaître. «Les ETF synthétiques restent pertinents pour les marchés de niches et très peu liquides, explique-t-il. Prenez le marché indien par exemple, il est tout simplement impossible de le répliquer totalement.»

L’exception des matières premières

Il est un autre domaine pour lequel les ETF à réplication synthétique seront difficilement remplaçables: celui des matières premières. Sihem Labbas, responsable des ventes auprès du fournisseur spécialisé dans ce segment ETF Securities, confirme. «Quand il s’agit de métaux précieux, les clients préfèrent généralement une réplication physique. Ils sont rassurés de savoir qu’une quantité de métal est adossée à chaque titre et stockée dans un coffre-fort. Mais il existe des produits comme le pétrole sur lesquels on ne peut pas faire de réplication physique, poursuit-elle. Car il faudrait pour cela acheter des barils, les entreposer et les assurer, ce qui coûterait trop cher.»

Lyxor assure d’ailleurs ne pas vouloir convertir ses fonds marchés émergents et matières premières à une réplication physique. «Ce sont des domaines dans lesquels une structure synthétique a fait ses preuves», explique la société. Par ailleurs, et même si cette dernière constate que les investisseurs institutionnels ont montré une préférence pour les ETF à réplication physique – qui représentent désormais 78% du marché européen contre 56% en 2009 – Lyxor s’attend à ce que ces derniers fassent preuve de pragmatisme à l’avenir.