L’ombre de Donald Trump, qui n’a cessé de s’attaquer à la Chine pendant sa campagne présidentielle, plane-t-elle également sur les décisions de la Banque nationale suisse (BNS)? C’est ce que suggèrent quelques analystes, alors que le franc s’est apprécié depuis le début de l’année et que l’institution ne donne pas de signe d’intervenir pour freiner cette hausse. Vendredi, il s’échangeait à 1,0664 pour un euro.

Thomas Flury, responsable de la stratégie sur les devises chez UBS, défend ce point de vue: «Jusqu’ici, la Suisse restait sous le radar du Département américain du Trésor, qui surveille les éventuelles manipulations de devises, parce qu’elle était considérée comme insignifiante.» Son surplus commercial avec les Etats-Unis était trop faible pour que les autorités s’en préoccupent. Or, souligne l’expert, ce surplus a gonflé ces dernières années et à un rythme soutenu. «Le pays pourrait donc recevoir des critiques», estime-t-il.

La BNS doit jongler

A son avis, la BNS avait trois boules avec lesquelles elle devait jongler: un franc surévalué, un bilan énorme et en hausse continue et des taux d’intérêt négatifs. Or, il en voit désormais une quatrième: la menace de se faire épingler pour manipulation de sa monnaie. Un point qui deviendra d’autant plus délicat à gérer à mesure que se rapproche l’élection française: «En fonction du résultat, on pourrait voir encore le franc s’apprécier», estime-t-il.

Il reconnaît que pour l’heure, la Suisse reste sous le radar américain, d’autant que la nouvelle administration a d’autres préoccupations dans beaucoup d’autres domaines. Même en ce qui concerne les marchés des changes, la Suisse n’est évidemment pas la première cible, Washington va se concentrer d’abord sur la Chine. «Mais beaucoup de choses sont difficiles à prévoir, il y a donc un risque», estime Thomas Flury. A noter, comme le rappelle Arnaud Masset, analyste chez Swissquote, que le surplus de la Suisse face aux Etats-Unis est d’un peu plus de 11 milliards de dollars, alors qu’il est de 337 milliards pour la Chine.

Sous surveillance américaine

Deux fois par an, le département américain du Trésor publie une évaluation des politiques de taux de change de ses principaux partenaires commerciaux. Dans le plus récent, publié en octobre, aucun pays ne remplit les trois critères déterminants (avoir un surplus commercial significatif avec les Etats-Unis, un surplus des comptes courants et intervenir sur les marchés des changes). En revanche, la Suisse figure avec la Chine, l’Allemagne, la Corée du Sud, Taiwan et le Japon dans la liste des pays sous surveillance parce qu’ils en remplissent deux sur trois. Jusqu’ici, la Suisse n’était pas étudiée, n’étant pas considérée comme un des partenaires principaux.

Cette idée, que la BNS ne bouge plus, ou presque plus, de crainte de s’attirer les foudres des Américains, a fait des émules, dont certains ont été cités dans le TagesAnzeiger. La société de recherche Capital Economics l’a aussi défendue. Dans une étude parue cette semaine, Credit Suisse considère aussi que «le Trésor américain compte désormais la Suisse parmi les «manipulateurs de devises» potentiels et la BNS va probablement chercher à stopper le gonflement progressif de son bilan.» Contactée, la BNS n’a pas souhaité faire de commentaires.

Soutien international

Cette théorie est regardée de façon plus nuancée parmi les spécialistes des banques centrales. Certes, estime Charles Wyplosz, professeur d’économie à HEID à Genève, «la BNS ne peut pas ne pas y penser» et c’est «encore une limite au «flottement libre» du franc». Les réactions des autres banques centrales, des gouvernements et du FMI entrent dans les réflexions des grands argentiers. On peut par exemple imaginer que la BNS avait besoin du soutien de ses homologues pour la bonne gestion du taux plancher, le contraire pouvant aiguiser les appétits des spéculateurs. Le fait que le FMI considère toujours le franc comme surévalué est également un soutien aux interventions de la BNS.

Mais les considérations ne s’arrêtent pas là. Surtout, à écouter plusieurs experts, on peut trouver d’autres raisons à des interventions réduites de la BNS. De fait, la hausse lente et continue du franc ces dernières semaines a commencé avant l’élection de Donald Trump. Il n’y a pas de cassure subite. On n’observe pas non plus un changement marqué dans l’évolution des montants dans les comptes de virements des banques auprès de la BNS, qui sont un indicateur de l’activité de la banque centrale sur les marchés des devises.

Après le creux de la vague

Au moment de sa dernière conférence de presse, en décembre, plusieurs experts avaient d’ailleurs prédit que la BNS serait plus passive, après une année 2016 très active sur le marché des changes. Ils estimaient que l’institution était prête à tolérer un franc à 1,05, voire 1,03 pour un euro. Et, ce, tout simplement parce que le pays est désormais capable de vivre avec un franc plus fort. Credit Suisse l’expliquait déjà à ce moment: «Le secteur des exportations a largement franchi le creux de la vague». De même, l’inflation semble revenir à un niveau positif.

Tout cela, sous réserve d’un tweet cinglant de Donald Trump sur la façon dont la Suisse gère sa monnaie. Un peu comme l’un de ses experts l’a fait avec l’Allemagne, l’accusant de profiter d’un euro trop faible.

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