Les banques françaises restent les plus à risque
Analyse du risque systémique
Une variable permet de mesurer le risque systémique en Europe. A fin août, elle montre qu’en cas de grave crise financière, il faudrait au moins 1000 milliards d’euros pour régulariser la sous-couverture. La tendance est à la baisse depuis mi-2012
La crise financière qui a débuté en 2007 a fait prendre conscience au milieu académique de l’importance du rôle joué par le secteur bancaire. Depuis, un certain nombre de chercheurs se sont détournés d’une recherche visant par exemple à valoriser des instruments dérivés de plus en plus complexes vers une recherche axée sur la mesure du risque systémique des banques. Il est à noter que, déjà avant 2005, certaines tentatives allant dans ce sens avaient été menées, notamment par les banques centrales. Malheureusement, comme nous l’avons tous observé, ces recherches n’ont pas permis de faire comprendre aux décideurs politiques les risques réellement encourus.
Dans ce contexte, un certain nombre de modèles ont vu le jour, visant à produire des mesures de risque systémique. On peut mentionner au premier chef le Volatility Institute de l’Université de New York, sous la direction du Prix Nobel d’économie Robert Engle, qui a mis sur pied un premier modèle adapté à une grande économie, permettant de mesurer l’ampleur du refinancement qui serait nécessaire en cas de crise financière. Une collaboration entre le Volatility Institute et les auteurs de cette note a permis d’étendre cette méthodologie au cadre européen, qui se distingue par un ensemble de pays relativement petits, avec des liens commerciaux très étroits et des monnaies différentes.
Comment fonctionne cette nouvelle méthodologie? Notre modèle décrit le risque systémique comme le montant de capital dont les banques auraient besoin pour se refinancer dans le cas où une nouvelle crise financière se produirait. Ce qui distingue notre approche est que le risque systémique, mesuré par une variable baptisée SRisk, dépend de plusieurs caractéristiques complémentaires de l’institution financière. Il s’agit tout d’abord de la capitalisation boursière et de son endettement. Intuitivement, une très grosse banque représente un plus grand risque qu’une petite simplement parce que si elle fait défaillance, les dommages seront plus importants. Ensuite, on peut penser que plus une institution est endettée, plus grand est son risque de défaillance. Un apport supplémentaire de ce nouvel indice est qu’il fait intervenir la sensibilité de la rentabilité boursière de l’institution financière par rapport aux marchés local, européen et mondial. On peut voir cette sensibilité comme un bêta tel qu’on le connaît en théorie du choix de portefeuille. Une firme à faible bêta est moins exposée à un facteur de risque et serait donc moins affectée en cas de baisse de ce facteur. L’indice SRisk est donc constitué d’une combinaison de ces trois caractéristiques importantes et produit un nombre qui indique le montant de capital qu’il serait nécessaire d’injecter dans une banque afin que celle-ci retrouve un ratio de fonds propres sur actifs satisfaisant. Comme nous l’avons vu lors de la récente crise financière, c’est en fin de compte le contribuable qui devrait payer. En ce sens, selon l’importance des montants en jeu, le politique devrait décider des institutions financières qu’il sauverait et des coûts que cela impliquerait.
Ces mesures de risque sont publiées sur Internet***. L’évolution du risque est détaillée pour la plupart des institutions financières cotées, mais aussi présentée de manière agrégée au niveau des pays. L’inspection de l’évolution temporelle de ces mesures permet de comprendre si une certaine politique porte ses fruits ou si le risque est en train d’augmenter, auquel cas le régulateur devrait intervenir.
Au total, à fin août 2013, le site répertorie 416 institutions financières européennes situées dans le secteur bancaire, des assurances, des entreprises immobilières et des services financiers. Le graphique représente sur l’échelle de droite le risque total pour l’Europe. Au total, fin août, on constate qu’en cas de nouvelle grave crise financière, il faudrait au moins 1000 milliards d’euros pour régulariser la sous-couverture. Le SRisk a très fortement augmenté entre mi-2007 et mi-2008, lorsque les marchés ont pris conscience du risque représenté par les banques. Ce risque a ensuite diminué jusqu’à mi-2011, lorsque la crise de la dette européenne a commencé. La tendance est à la baisse depuis mi-2012.
Le graphique montre ensuite les évolutions pour divers pays européens dont le SRisk est indiqué sur l’échelle de gauche. La France est le pays dont le SRisk est actuellement le plus élevé. Si on ramenait le SRisk au produit intérieur brut (PIB) des pays, on constaterait que celui de la Suisse serait le plus important, étant donné l’importance des deux grandes banques. Un SRisk similaire à celui de la France se retrouve au Royaume-Uni, mais le SRisk britannique a récemment diminué grâce notamment à la progression plus rapide de la capitalisation boursière des banques dans ce pays. Le SRisk de l’Allemagne est environ la moitié de celui de la France. Cela peut s’expliquer par le fait que les banques allemandes sont moins orientées vers les activités de banque d’investissement que les banques françaises.
On a beaucoup parlé de la Grèce. Le graphique montre que pour ce pays le SRisk est globalement faible. Evidemment, le montant serait plus important exprimé en pourcentage du PIB. La raison pour laquelle ce pays a été au centre de l’attention ces dernières années est que le gouvernement grec est très fortement endetté. En revanche, les banques grecques ne présentent pas de risque systémique élevé, car elles sont dans l’ensemble trop petites pour affecter l’ensemble du système financier européen. Si on regarde l’évolution récente du SRisk pour ces institutions, on observe également une forte baisse qui s’explique par les plans de restructuration et de refinancement des principales banques de ce pays.
Que devraient faire les institutions financières afin de diminuer davantage leur risque? D’après notre modèle, il y a trois voies complémentaires. En diminuant la taille, par exemple en se séparant des unités les moins rentables ou les plus coûteuses en fonds propres. Ensuite, en choisissant des activités qui sont relativement peu risquées ou dont le risque est peu corrélé avec les facteurs de risque que sont les marchés local, européen et mondial. Un autre facteur important est l’endettement: une réduction des engagements par rapport aux fonds propres peut être intéressante pour diminuer le levier financier et donc le risque systémique d’une institution financière.
*Université de Lausanne et Swiss Finance Institute, HEC, Directeur du CRML
**Université de Lausanne et Swiss Finance Institute, HEC
***www.crml.ch
Les banques grecques ne présentent pas de risque systémique élevé