Pourquoi des banques se trouvent désormais sur le banc des accusés
Justice
AbonnéAprès Falcon Bank, c’est Credit Suisse qui est accusé de blanchiment aggravé. Jusqu’ici, ce genre d’affaires pouvait mener à des arrangements financiers, rarement à un procès

Falcon Bank, d’abord. La banque zurichoise comparaissait l’automne dernier devant le Tribunal pénal fédéral, accusée, comme son ancien patron, de blanchiment aggravé. Alors que le second a été acquitté, l’établissement a été jugé coupable. Des mécanismes de contrôle considérés comme insuffisants l’ont conduit à être condamné à une amende de 3,5 millions de francs et une créance compensatoire de 7 millions.
Credit Suisse, ensuite. Depuis lundi, la deuxième banque suisse se trouve elle aussi sur le banc des accusés. Elle répond avec quatre personnes d’accusation de blanchiment aggravé, en lien avec de l’argent provenant du trafic de cocaïne en Bulgarie. Credit Suisse abritait des comptes appartenant à des membres ou à des proches d’une organisation criminelle entre 2004 et 2007 et le Ministère public de la Confédération (MPC), qui lui reproche de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour éviter cela. Tous les accusés sont présumés innocents.
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Des entreprises poursuivies, il y en a eu. Plus rarement des banques, avec souvent à la clé un arrangement qui la conduisait à s’acquitter d’une amende sans devoir passer par la case procès. Comme le rappelle Shelby du Pasquier, avocat de Lenz & Staehelin, une disposition (l’article 102) a été ajoutée au Code pénal suisse en 2003 pour permettre de poursuivre les entreprises notamment pour blanchiment, financement du terrorisme ou corruption d’agents publics.
Tendance plus claire
Avant cela, on poursuivait exclusivement la personne physique responsable des agissements. Ce qui reste le cas puisque aux côtés des entreprises accusées figurent toujours des employés ou ex-employés, souligne l’avocat. Qui constate «une tendance clairement établie du MPC à agir contre les personnes morales» et ne s’étonne donc pas de voir ces cas apparaître aujourd’hui, les procédures étant souvent longues et complexes et impliquant une instruction de plusieurs années.
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«Au niveau de la politique criminelle, le MPC ne veut plus utiliser l’accord sans condamnation et avec indemnisation, comme cela a été le cas pour HSBC à Genève en 2015», estime Carlo Lombardini, avocat et professeur à l’Université de Lausanne. Accusée là aussi de blanchiment aggravé (mais par le Ministère public genevois), la banque avait alors accepté de payer 40 millions de francs à la justice genevoise. La filiale du groupe britannique reconnaissait ses torts mais échappait à une condamnation pénale. Reste que pour arriver à un accord, encore faut-il que la banque concernée y soit ouverte. Dans le cas en cours, Credit Suisse rejette toutes les accusations.
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Pourquoi ce changement? «Les sanctions de la Finma, l’autorité des marchés financiers, sont peut-être perçues comme trop faibles, les banques pas assez efficaces dans leur adaptation et dans la gestion des clients», évoque Carlo Lombardini. Qui souligne qu’une «autorité qui a du pouvoir a une tendance naturelle à l’exercer».
Climat d’impunité
Une nouvelle tendance que Public Eye salue: «C’est un changement de pratique bienvenu dans un pays où règne un climat d’impunité pour les entreprises et où les moyens d’agir sont faibles», estime Adrià Budry Carbó, enquêteur au sein de l’ONG. «Lorsque la Finma se saisit d’une affaire, on aboutit à de simples recommandations ou à l’exigence de l’arrêt d’une activité, mais l’autorité des banques n’a pas la possibilité d’infliger une amende», rappelle-t-il. La Finma a néanmoins la possibilité de retirer une licence bancaire. «Mais elle le fait rarement et ses mesures ne sont donc pas dissuasives», ajoute Adrià Budry Carbó, pour qui la mission de l’autorité est surtout de «ne pas trop déranger la place financière».
Reste que les moyens fournis par le Code pénal sont aussi limités. Avec une amende de 5 millions de francs maximum pour des banques dont les bénéfices annuels peuvent se chiffrer en milliards (2,7 en 2020 pour Credit Suisse), l’effet dissuasif est là aussi modéré, estime Public Eye. Même avec la créance compensatoire de 42,5 millions demandée par le MPC dans le cas de la grande banque.