C’est une première: la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi sa plus forte hausse des taux, avec 75 points de base d’un coup. Ses trois taux de référence sont concernés. Ce n’est probablement pas fini: lors de la conférence de presse de jeudi, sa présidente, Christine Lagarde, a précisé: «La BCE est encore loin du taux qui aidera à ramener l’inflation à 2%.» Avant de souligner: «C’est un phénomène terrible, en particulier pour les moins favorisés. C’est notre travail de lutter contre et nous sommes déterminés à y parvenir.»

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La mesure était attendue depuis quelques jours. Plus précisément depuis les chiffres de l’inflation pour le mois d’août dans la zone euro, ressortie à +9,1% en rythme annuel. Même si l’énergie compte pour beaucoup dans ce renchérissement, les économistes craignent qu’elle se propage aux autres segments. «Les tensions sur les prix se sont encore amplifiées, et généralisées dans l’économie, et l’inflation pourrait encore s’accélérer à court terme», précise d’ailleurs le communiqué de la BCE. Elle a d’ailleurs révisé à la hausse ses prévisions d’inflation: +8,1% en 2022, +5,5% en 2023 et +2,3% en 2024.

Ralentissement en vue

Un grand nombre d’observateurs ont donc parié que la BCE ferait davantage qu’en juillet (hausse de 50 points de base). Les chiffres de la croissance au deuxième trimestre, publiés mercredi, meilleurs qu’attendu, ont peut-être également pesé dans la balance. Mais le pire est à venir: «Les données récentes signalent un ralentissement substantiel de la croissance économique dans la zone euro, et l’économie devrait observer une phase de stagnation en fin d’année et au premier trimestre 2023», prévient encore la banque centrale. Elle a révisé à la hausse ses prévisions de croissance pour 2022 (+3,1%) puis à la baisse ensuite (+0,9% en 2023 et +1,9% en 2024). Mais comme l’a précisé sa présidente ensuite, une récession est possible en cas de coupure totale des livraisons de gaz russe.

L’institution est sur la corde raide: elle doit lutter contre une inflation à des niveaux record, qui suscite un mécontentement grandissant, sans pouvoir contrôler la majeure partie de ce renchérissement. Selon des estimations de la société de recherche Refinitiv et d’Allianz Research, 47% de l’inflation dans la zone euro est liée aux prix de l’énergie, 40% est liée à l’offre (blocage dans les chaînes d’approvisionnement, pénuries, etc.), et seul 15% est lié à la demande. Par comparaison, cette dernière part, sur laquelle les banques centrales peuvent avoir une influence plus directe, est deux fois plus importante aux Etats-Unis. Christine Lagarde a d’ailleurs souligné cette différence essentielle et ajouté: «Je ne peux pas réduire le prix de l’énergie, je ne peux pas convaincre les géants de ce monde de baisser les prix du gaz et je ne peux pas réformer le marché de l’électricité.»

Euro stable

En même temps, augmenter les taux dans un tel contexte de ralentissement risque d’empirer la situation. La baisse de régime attendue, qui devrait freiner l’inflation, rend peut-être même moins nécessaire d’agir sur le loyer de l’argent. «La réponse des banques centrales, dont la BCE, à cette question est sûrement d’affirmer qu’augmenter les taux directeurs est quand même nécessaire pour bien montrer qu’elles sont déterminées à agir, et ainsi influencer à la baisse les perspectives d’inflation formulées par les ménages et les entreprises», soulignait Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, à Paris et à Lille, dans une note publiée avant la décision. Il anticipe deux autres hausses de 50 points de base avant la fin de l’année.

L’euro, dont la faiblesse est aussi une cause d’inflation importée, a peu réagi à l’annonce avant de se déprécier de nouveau dans l’après-midi. Il s’était renforcé mercredi dans la perspective de cette hausse des taux historique. Les bourses européennes ont reculé.