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Brexit: les banques face à l’inconnu

Pour beaucoup d’établissements suisses, Londres représentait une porte d’entrée aux marchés européens. Si le Brexit ne devrait pas poser de problème pour ce qui concerne la gestion de fortune, l’incertitude plane en revanche pour la gestion d’actifs

Des banquiers de la City au centre de Londres. — © Copyright 2016 The Associated Press. All rights reserved. This material may not be published, broadcast, rewritten or redistribu
Des banquiers de la City au centre de Londres. — © Copyright 2016 The Associated Press. All rights reserved. This material may not be published, broadcast, rewritten or redistribu

Le Brexit ne fait pas que des malheureux. Les places financières concurrentes de la City, par exemple, se frottent les mains à l’idée de voir débarquer des équipes entières fuyant l’instabilité économique suscitée par le vote des Britanniques. Paris, Francfort ou Dublin ont déjà souhaité la bienvenue à tous ceux qui souhaiteraient quitter Londres. Elles ne sont pas les seules. Directeur de la Fondation Genève Place Financière, Edouard Cuendet est lui aussi convaincu que le Brexit peut profiter à sa ville. Des banques et des clients basés aujourd’hui à Londres pourraient relocaliser certaines de leurs activités au bout du lac.

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Mais pourquoi donc les banques quitteraient-elles la première place financière au monde? D’abord, parce qu’elles ne pourront plus forcément y effectuer toutes les activités qui sont les leurs aujourd’hui sur place. Le négoce des euros, par exemple, pourrait bien être rapatrié au sein d’un pays de la zone euro.

Ensuite, la Grande-Bretagne pourrait à l’avenir ne plus représenter une porte d’entrée pour les marchés financiers européens. Aujourd’hui, de nombreux établissements, américains mais aussi suisses, utilisent la place londonienne pour vendre des services et des produits financiers à l’ensemble de la clientèle européenne – le fameux «passeport européen».

L’option luxembourgeoise

Or, la Grande-Bretagne pourrait perdre ce privilège. «C’est le scénario du pire, observe Emmanuel Genequand, associé de PwC à Genève. Mais c’est un scénario que les banques suisses implantées aujourd’hui à Londres sont obligées de prendre en considération.» Tout dépendra des négociations avec Bruxelles. En attendant, Le Temps est allé sonder les banques, à Genève comme à Zurich, pour voir quel est leur état d’esprit une semaine après un vote historique.

Premier constat: pour ce qui concerne l’accès à la clientèle privée européenne, le Brexit ne devrait pas représenter un problème trop important. La grande majorité des banques privées genevoises, à l’image de Pictet, Lombard Odier ou UBP, ont misé sur le Luxembourg pour obtenir le passeport européen. Elles ont ensuite ouvert des succursales, directement rattachées à l’entité du Grand-duché, dans différents pays européens.

Les banques zurichoises Julius Bär et Vontobel accèdent au marché européen avant tout via leur présence en Allemagne, complétée parfois par le Luxembourg. Julius Bär n’a pas de plateforme d’enregistrement à Londres. Ses activités européennes sont conduites à partir de Francfort. Celles liées à la banque privée pour Europe peuvent aussi être assurées via une licence bancaire et une plateforme de Commerzbank au Luxembourg.

En incluant la société TwentyFour Asset Management rachetée à hauteur de 60% en 2015, Vontobel emploie environ 50 personnes à Londres. L’accès au marché européen est assuré à la fois à partir du Luxembourg et de l’Allemagne. Le siège de Bank Vontobel Europe, son «hub» pour le marché européen, étant basé à Munich.Pour Emmanuel Genequand, la seule conséquence que pourrait avoir le Brexit sur les banques suisses qui font de la gestion de fortune en Grande-Bretagne via une succursale est que celles-ci doivent, à l’avenir, se plier à une surveillance directe, et partant de nouvelles exigences de la part du régulateur britannique. Et non plus à une surveillance essentiellement luxembourgeoise comme c’est le cas actuellement. «Cela induirait un certain coût, poursuit-il. Mais rien d’insurmontable à mon avis, tant la place londonienne a une tradition d’accueil envers les institutions financières.»

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Certaines banques semblent avoir pris les devants. Pictet, qui emploie une trentaine de personnes à Londres pour la gestion de fortune, a ainsi récemment déposé une demande de licence bancaire auprès des autorités britanniques.

«Wait and see»

Deuxième constat: le Brexit pourrait avoir un impact bien plus important sur les activités de gestion d’actifs des banques suisses. Car si la domiciliation et l’administration des fonds se font le plus souvent depuis le Luxembourg, les activités de gestion sont en général basées à Londres.

Pour l’instant, le ton est à la prudence. Pictet, dont les succursales européennes de la division institutionnelle du groupe (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique) sont toutes rattachées à la société britannique, souligne qu’il est «tout à fait prématuré de tirer des conclusions sur les conséquences du Brexit». Le groupe emploie quelque 300 collaborateurs à Londres, dont 256 dans la gestion d’actifs.

Même réponse du côté d’UBS, qui estime qu’il est beaucoup trop tôt pour savoir si le Royaume-Uni continuera d’assurer la fonction de «passeport» pour certaines de ses activités en Europe. Du reste, UBS, qui emploie 5400 personnes à Londres – comparé à 6600 personnes chez Credit Suisse en octobre dernier - va transférer cet été l’essentiel de ses employés dans un nouveau bâtiment situé à Broadgate, comme prévu. Reste que la question l’organisation de l’accès au marché européen se posait déjà avant le Brexit. En 2015, UBS avait évoqué un projet visant à établir une plateforme paneuropéenne pour la gestion de fortune, vraisemblablement à partir de Francfort. Interrogé à ce sujet en mars par la Süddeutsche Zeitung, Sergio Ermotti, son directeur, avait souligné que la création d’une «société européenne» restait un sujet d’actualité. Où? «Dans le cadre de ces réflexions, l’Allemagne joue certainement un rôle», avait-il déclaré, rappelant que différentes options étaient examinées.

L’expansion à Londres se poursuit chez GAM

Du côté du groupe Syz, présent dans la gestion d’actifs à Londres depuis 2001, plusieurs hypothèses sont ouvertes à ce stade. Mais en attendant de voir si l’accès au marché unique est garanti depuis la Grande-Bretagne, l’établissement maintient l’ouverture de plusieurs entités directement rattachées à Londres, comme c’est déjà le cas pour Milan. «Le Brexit ne va rien changer dans l’immédiat», explique son porte-parole.Le gestionnaire d’actifs zurichois GAM, qui employait en décembre déjà 382 collaborateurs à Londres sur un total de 1000, a annoncé jeudi le rachat de Cantab Capital Partners comptant 56 collaborateurs à Cambridge. GAM ne dépend-elle pas trop du Royaume-Uni? «Ces rachats de sociétés ont été effectués en raison de l’attrait de leurs produits et de la diversification qu’elles apportent à notre palette de produits existante, non pas selon des plans d’expansion définis sur une base territoriale», relativise un porte-parole.

L’UBP enfin, présente à Londres depuis 1991 et qui compte une soixantaine de collaborateurs sur place aujourd’hui dont les équipes de gestion pour les fonds en actions européennes et émergentes, attend également que la situation s’éclaircisse avant d’évoquer d’éventuels changements de stratégie. «Mais si la Grande-Bretagne post-Brexit comme la Suisse ne devaient pas obtenir l’accès au marché européen, nous poursuivrons notre stratégie d’ouverture de succursales du Luxembourg sur d’autres marchés européens», résume son porte-parole.