A Davos, dans l’intimité des grands patrons, tout le monde ne parlait que du cadeau fiscal de Donald Trump. «Aujourd’hui, les sociétés de toute la planète se disent que les Etats-Unis sont the place to be dans le monde développé», lançait Stephen Schwarzman, le fondateur et directeur de la banque d’investissement américaine Blackstone. Le patron de Credit Suisse Tidjane Thiam y voit, lui, «le coup d’accélérateur dont avait besoin l’économie réelle».
Appel du large pour 1600 entreprises
C’est que la baisse du taux d’imposition américain de 35% à 21% représente un séisme pour le monde financier, et il forcera tous les pays à revoir leur fiscalité. La Suisse ne fait pas exception. Elle est même particulièrement concernée, puisqu’elle accueille quelque 1600 entreprises américaines qui pourraient être tentées de prendre le large.
Si la Suisse ne fait pas ses devoirs dans les douze à quatorze mois, on aura un gros problème
Martin Naville, Chambre de commerce Suisse-Etats-Unis
Du côté de la Chambre de commerce Suisse-Etats-Unis, on anticipe déjà une érosion des bénéfices comptabilisés sur sol helvétique. «Pour les compagnies américaines, cette revitalisation de la compétition fiscale est très intéressante. C’est certain: la quantité de valeur ajoutée va s’amoindrir en Europe et en Suisse», prévient Martin Naville, son directeur.
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Economiesuisse évoque aussi une «possible perte de substance fiscale». Comme le rappelle Vincent Simon, spécialiste des questions financières pour le lobby des milieux économiques, tant les entreprises suisses implantées aux Etats-Unis que les multinationales sur sol helvétique sont «en train de revoir leur chaîne de valeur et réfléchir à d’éventuels rapatriements». Sur sol américain, s’entend.
Il sera également plus difficile pour les entreprises de réaliser des transferts de bénéfice en dehors des Etats-Unis. Avec la baisse du taux d’imposition, une nouvelle batterie de mesures dénommée «BEAT» (pour Base Erosion and Anti-Abuse Tax) sera mise en place. Objectif: lutter contre l’érosion fiscale en limitant les possibilités pour les entreprises américaines de déduire des intérêts et des royalties versés aux filiales.
«L’urgence» d’une réforme
Personne ne veut pourtant croire à des délocalisations massives vers les Etats-Unis… à moins que la réforme helvétique de la fiscalité des entreprises n’aboutisse pas. «Si la Suisse ne fait pas ses devoirs dans les douze à quatorze mois, on aura un gros problème. Le coût d’un déménagement ne serait alors plus un obstacle», prévient Martin Naville.
La Suisse est pressée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) d’abolir ses statuts spéciaux destinés aux entreprises. Mais l’échec devant le peuple de la réforme dite RIE III a démontré que la Suisse n’était pas capable de tenir son calendrier et ouvert une période d’incertitude qui devrait durer plusieurs semestres. Et les milieux économiques détestent l’instabilité.
Ueli Maurer ne s’y est pas trompé. Le ministre des Finances a admis, dans une interview à la NZZ am Sonntag, qu’une «sortie de fonds aura de toute façon lieu», tout en rappelant le besoin d’adopter la réforme Projet fiscal 17 «de toute urgence» face au regain de concurrence fiscale.
La guerre fiscale à venir
Car la réforme Trump devrait faire des vagues. A Davos, l’Allemagne et la France ont déjà annoncé un projet commun visant à réformer l’impôt sur les sociétés. La Grande-Bretagne prévoit également de réduire la fiscalité des bénéfices des entreprises de 19 à 17% en 2020. La Chine et le Japon suivront et c’est tout le monde industrialisé qui tente déjà de fourbir ses armes pour préparer la guerre fiscale à venir.
Le contribuable helvétique pourrait néanmoins avoir du souci à se faire. «On n’est pas en train de parler de Monaco ou d’une île exotique, là. C’est New York, la Californie…» prévenait Xavier Oberson dans un récent entretien.
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Pour la plupart des observateurs consultés, la réforme Trump servira davantage de boussole pour l’allocation de nouveaux capitaux. La baisse du taux d’imposition américain à 21% est certes importante, mais elle classe les Etats-Unis dans la moyenne des taux des pays de l’OCDE. Mais, pour Martin Naville, «la possibilité de déprécier immédiatement ses investissements aux Etats-Unis de Donald Trump peut clairement faire la différence».
Des affaires sur le long terme
Ce que confirme implicitement ce grand groupe helvétique, déjà très présent aux Etats-Unis, mais qui n’a pas souhaité être cité. «La réforme est surtout très incitative à développer ses activités sur sol américain à long terme», admet un porte-parole. Avant de nuancer: «A court terme, l’impact est neutre. Le montant économisé grâce à la baisse du taux d’imposition sera annulé par la perte de certaines déductions fédérales sur les manufactures.»
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Les banques UBS et Credit Suisse ont également été forcées de réviser leurs livres de comptes. La diminution du taux d’imposition et la consécutive baisse de leurs crédits d’impôts leur ont «coûté» respectivement 2,8 et 2,3 milliards de francs. Mais cette dépréciation sera négligeable sur les deux banques si la réforme fait réellement des Etats-Unis – comme le dit le directeur d’UBS Sergio Ermotti – un «pays très attractif pour faire des affaires» sur le long terme.
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