A 75 ans, Charles Gave, le financier, philosophe, président d’un club de rugby et d’un laboratoire d’idées libéral, part en guerre contre les élites et Bruxelles. Il avait prévu (et applaudi) le Brexit et l’élection de Donald Trump. Depuis son bureau parisien, à deux pas de la Maison de Radio France, il se bat maintenant «pour le Bruxit, c’est-à-dire la sortie de la bureaucratie bruxelloise de l’Union européenne». Il figure, avec sa fille Emmanuelle, sur la liste qui semble dépasser toutes les attentes, celle de Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan (NDA). Au dernier sondage du Figaro, NDA gagne 19 points en un mois, réunit 39% d’opinions favorables et dépasse largement Laurent Wauquiez, le représentant des Républicains.

Un père condamné à mort

Mais reprenons en détail. Charles Gave est né à Alep, en Syrie, d’un père officier, «un des premiers gaullistes. Les pétainistes voulaient livrer la Syrie aux Allemands. Le maréchal Pétain a demandé aux officiers français de rentrer alors que de Gaulle leur a dit de rester.» Douze sont restés sous le commandement du père de Charles Gave et 488 sont partis. «Mon père a été condamné à mort par un tribunal militaire», se rappelle-t-il.

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S’il est diplômé d’économie de l’Institut politique de Toulouse, il considère que «les diplômes n’ont rien à voir avec l’intelligence», contrairement à ce que l’on pense souvent en France. Citant d’Aguesseau, il ironise sur «ce pays merveilleux où une plume agile et un esprit rapide passent pour de l’intelligence».

L’économiste commence sa carrière auprès d’Indosuez. A 30 ans, il crée sa première entreprise, dans la recherche en finance. Avec le Suisse Beat Notz, «mon mentor», président de Notz Stucki à Genève, il invente le métier du conseil en investissement et se spécialise dans la recherche.

En 1981, il part à Londres à l’arrivée des communistes au gouvernement de François Mitterrand. «Ce n’était pas pour des raisons fiscales, mais à cause d’une idéologie qui a tout de même tué 100 millions de personnes», avance-t-il. Il cofonde une société de gestion d’actifs à Londres, dont les capitaux atteindront 10 milliards de dollars, et la vend à Alliance Capital. Puis il fonde Gavekal Research à Hongkong, avec son fils, conseille 1000 institutions avec 70 employés. A 70 ans, il rentre à Paris et crée l’Institut des libertés, mais reste président de Gavekal en Asie.

Avec l’Institut des libertés, que dirige sa fille Emmanuelle, Charles Gave poursuit un objectif éducatif. Il s’adresse aux Français et non aux libéraux convaincus. Le libéralisme n’est pas une théorie contre les pauvres. «C’est une doctrine juridique selon laquelle tout le monde est égal devant la loi, même l’Etat», avance-t-il. Or un système n’est juste que si les plus défavorisés améliorent leur niveau de vie. Depuis vingt ans, il en va autrement. L’heure de la révolte a sonné, annonce-t-il.

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Le coup d’Etat d’une classe non élue

Charles Gave est d’abord un économiste et un philosophe, auteur de six ouvrages. Dans Des lions menés par des ânes (2003), où les lions sont les Français et les ânes les fonctionnaires et la classe politique, il annonce la crise de l’euro. Le livre est préfacé par Milton Friedman, Prix Nobel d’économie en 1976, avec qui il a entretenu une relation épistolaire durant vingt ans. Le portrait de l’économiste de Chicago est accroché aux murs de son bureau, aux côtés d’autres penseurs libéraux (Locke, Popper).

L’auteur de Libéral mais non coupable (paru en 2009) fait maintenant campagne avec NDA. Il sait très bien que ce dernier n’est pas libéral. Mais la priorité de cet admirateur d’Eric Zemmour et de Georges Bernanos est ailleurs, dans le combat entre l’Etat-nation et la technocratie européenne. NDA a deux grandes valeurs, à ses yeux. Il a du courage, parce qu’il a voté pour Marine Le Pen au 2e tour de la présidentielle et en a subi les conséquences sociales. Et il a quitté le RPR après que Nicolas Sarkozy a fait adopter le traité de Lisbonne au parlement en dépit de son rejet par le peuple. «NDA est un socratique, honorable et de bonne foi, qui a repris une ville en grandes difficultés, Yerres, et qui l’a redressée. Un homme qui aime la France, à l’inverse d’Emmanuel Macron. Car pour la première fois dans l’histoire, le président n’aime pas la France», affirme Charles Gave.

Le rugby, sport évangélique

NDA a identifié le vrai problème, selon l’économiste, «le coup d’Etat d’une classe non élue qui a pris le pouvoir avec Bruxelles, que l’on ne peut pas élire ni virer. Depuis trente ans, la souveraineté est passée du peuple à la technocratie. La solution, c’est la sortie de Bruxelles», pense-t-il. «Ensuite, nous verrons ce que nous ferons».

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Depuis cet été, l’économiste ajoute une nouvelle corde à son arc. Il est président du club de rugby Biarritz olympique Pays basque, le deuxième plus ancien du pays, deux fois champion d’Europe, en grandes difficultés financières et aujourd’hui en deuxième division. Son fils, fan de ce sport, a demandé à Charles Gave, d’ailleurs ancien rugbyman, de s’allier pour en prendre la majorité. «Le rugby est une école de vie où chacun se sacrifie pour l’équipe. C’est aussi le seul sport évangélique, puisque ici, il vaut mieux donner que recevoir.»


Profil

14 septembre 1943: Naissance à Alep (Syrie).

1967: Diplôme de l’Institut d’études politiques de Toulouse.

1974: Création de Cegogest, sa première entreprise, dans le conseil en allocation d’actifs.

1981: Il quitte la France lors de la nomination de communistes dans le gouvernement.

2001: Création de Gavekal Research avec son fils, à Hongkong.

2012: Création de l’Institut des libertés, à Paris.

2018: Campagne pour les européennes sur la liste de Debout la France.