Perspective
La directrice de l’Association des start-up financières suisses, estime que l’open banking sera l’un des grands enjeux de 2019. Il permettra à une quantité d’acteurs d’avoir accès aux données des banques

La quatrième édition du Forum Horizon, organisé par Le Temps, aura lieu le 29 janvier au Campus Biotech à Genève. En amont de cet événement, nous proposons, pendant cinq jours, une série d’articles consacrés aux enjeux et aux thématiques qui dessineront l’avenir de l’économie suisse et internationale. Ceci est le premier article.
La numérisation est peut-être en cours, mais les établissements financiers n’ont pas été bousculés par les nouveaux acteurs, qu’il s’agisse de fintechs ou de géants de la technologie prêts à s’attaquer à leurs activités. Le secteur ne s’est pas encore transformé, estime Christina Kehl. La directrice de l’Association des start-up financières suisses (Swiss Finance Start-up Association) estime que l’open banking, qui devra permettre à des développeurs d’utiliser les données des banques, sera l’un des grands enjeux de 2019.
Lire aussi notre portrait: Christina Kehl, porte-voix des fintechs suisses
Le Temps: Quels sont les enjeux pour la finance l’an prochain?
Christina Kehl: Regardez les chiffres sur la création de valeur dans le secteur financier en Suisse. Ils diminuent. Il y a donc quelque chose qui ne fonctionne pas. A partir de là, il faut se poser des questions sur l’avenir, qu’il s’agisse de banque ou d’assurance, et réfléchir à de nouveaux modèles. Sinon d’autres acteurs, des fintechs ou d’autres fournisseurs de services, pourraient venir prendre des parts de marché.
Cela fait environ cinq ans que l’on parle de fintech, de disruption, etc. Désormais les banques semblent ouvertes à l’idée que ces acteurs sont davantage des fournisseurs de solutions ou des innovateurs de l’extérieur que des organisations qui pourraient leur faire du mal. En Suisse, les fintechs n’ont pas amené les disruptions que l’on attendait. En revanche, les banques savent que les grandes entreprises technologiques sont une menace, plus que les start-up avec qui elles peuvent collaborer.
L’Association suisse des banquiers a pris position en se disant favorable à l’open banking, tout en voulant décider à qui les banques donneront accès à leurs interfaces. Mais ce n’est plus de l’open banking dans ce cas
Un thème en particulier va-t-il dominer les discussions?
L’open banking, sans aucun doute, sera l’un des grands thèmes de 2019 [ndlr: la directive européenne sur les services de paiement 2e version (DSP2) est déjà en vigueur, mais certaines dispositions qui rendent possible l’open banking seront mises en place en septembre 2019, notamment celles qui obligent les banques à fournir l’accès aux données de leurs clients, avec leur accord, à des tiers fournisseurs de services de paiement ou des agrégateurs d’informations]. On devrait d’ailleurs parler d’open data, pas seulement d’open banking, et inclure les infrastructures et les assurances par exemple, car les données seront le moteur de notre économie. Même si on ne peut pas en faire grand-chose pour l’instant, c’est là où se trouve la valeur. Or, on voit que la Suisse rechigne. L’Association suisse des banquiers a pris position en se disant favorable, tout en voulant décider à qui les banques donneront accès à leurs interfaces. Mais ce n’est plus de l’open banking dans ce cas.
Pour les banques, c’est une façon de se protéger…
Oui, mais elles pourraient y voir un avantage et penser non plus en tant que «CRM», c’est-à-dire client relationship manager (responsable relation client), mais en tant que «CMR» pour gérer les relations du client avec d’autres acteurs. Comme l’a dit Bill Gates, on n’a pas besoin de banques, on a besoin de services financiers. A l’ère du numérique, le client doit pouvoir dire à la banque ce qu’il veut et choisir, tout en gardant le contrôle sur ses données. Une banque pourrait décider ainsi elle-même de mettre plusieurs acteurs à la disposition de ses clients tout en restant au centre de la relation. Les banques suisses ne sont pas du tout bonnes là-dedans, à quelques exceptions près.
En Suisse, il existe peu de fintechs qui concurrencent frontalement les banques. Est-ce le cas ailleurs?
Prenez Revolut ou N26, qui sont des banques en ligne disponibles sur smartphone. Elles sont en train de gagner des parts de marché massives sans presque aucune dépense de marketing. Cela montre qu’elles répondent à un besoin, tout comme TransferWise et son système de transfert d’argent bon marché. Je n’utilise presque plus de banques traditionnelles, peut-être parce que je ne suis pas quelqu’un de traditionnel, mais je pense que cela va continuer dans ce sens. La loyauté du client envers sa banque, cela n’existe plus. Désormais, ce qui l’intéresse, c’est que le service soit pratique et bon marché, ce n’est pas plus sophistiqué que cela. En outre, le client n’a pas forcément besoin d’importantes connaissances de la finance pour comprendre la plupart de ces services.
La confiance n’est plus un enjeu?
La réputation et la marque représentent l’atout des banques et elles devraient en profiter. Elles pourraient justement fournir la plateforme et sélectionner les fournisseurs qu’elles proposeraient aux clients, c’est ce que j’essaie de montrer avec cet esprit CMR, qui serait un nouveau modèle d’affaires.
Dans la plupart des cas, le fait que le service soit simple, agréable et bon marché est plus important que la confiance. C’est ce qui permet à des acteurs comme Revolut ou d’autres de se développer autour de tout ce qui représente la finance d’interaction. Il existe des exceptions, comme dans la gestion de fortune. Là, c’est différent. Quand on parle d’argent de la famille, d’économies importantes, la confiance reste centrale.
Beaucoup de livres blancs (white papers) publiés ces derniers mois sur les monnaies virtuelles ou la blockchain surfent simplement sur la vague à un moment où tout ce qui est crypto est populaire
Depuis que l’on parle de numérisation dans la finance, comment changent les modèles d’affaires et comment vont-ils encore changer?
Je ne vois pas encore de nouveaux modèles d’affaires. Les banques font quelques changements, visibles, à la surface, qui peuvent être liés au numérique, mais sans changer fondamentalement leur façon de faire. Il sera intéressant de voir comment cela évolue, face aux GAFA, notamment.
Qu’attendre des cryptomonnaies et de la blockchain?
Je ne suis pas la plus grande avocate des cryptos. La blockchain est intéressante, il existe des cas d’utilisation et son potentiel est grand. Mais il faudra voir les utilisations réelles, la valeur apportée pour les consommateurs, etc., pour voir si c’est vraiment révolutionnaire. Si on prend tous les livres blancs (white papers) publiés ces derniers mois, beaucoup surfent simplement sur la vague à un moment où tout ce qui est crypto est populaire. Souvent, ce qui est proposé avec la blockchain pourrait être fait d’autres manières. Je m’attends donc à une consolidation. On a eu la vague fintech, ensuite celle des cryptos, l’année prochaine sera certainement celle de l’intelligence artificielle. Mais il ne faut pas oublier l’essentiel: la technologie, en soi, n’est pas un modèle d’affaires.