Les clientèles européennes et américaines ont longtemps représenté le terrain de jeu préféré des banquiers privés. L’Asie, nouveau centre mondial de création de richesses, a ensuite pris le relais, notamment quand la transparence fiscale a sonné le glas du secret bancaire. Et puis ce fut au tour de l’Amérique latine de symboliser l’avenir de la place financière suisse.

Aujourd’hui, d’autres horizons reviennent avec insistance dans la bouche des banquiers privés. Des débouchés d’autant plus importants que leurs marges s’effritent et que l’attrait de nouveaux fonds se complique. Selon la dernière étude de KPMG sur le secteur, les 86 établissements privés recensés en Suisse n’ont ainsi récolté que 4,3 milliards de francs d’argent frais en 2015: le plus mauvais résultat depuis 2009.

Une première clientèle en vogue désormais n’est autre que celle venant de Suisse. «Tout le monde s’y intéresse de près, confirme Emmanuel Genequand. Certains avec succès, d’autres moins.» Selon l’associé de PwC, spécialiste du secteur bancaire, cette clientèle est d’autant plus intéressante qu’elle est relativement rentable, notamment si elle est sous mandat de gestion.

Au rang des banques qui ont mis l’accent sur la clientèle suisse, on citera notamment Piguet Galland ou la Banque Edmond de Rothschild avec son offre prévoyance qui couvre également la prévoyance individuelle. Quant à Lombard Odier, elle a inauguré son bureau zurichois rénové en grande pompe il y a un peu plus d’une année et annoncé, dans la foulée, avoir recruté 23 personnes, portant ses effectifs sur place à plus de 100 collaborateurs.

Une clientèle suisse relativement rentable

Pour Emmanuel Genequand, la défunte banque Wegelin n’est pas étrangère à ce regain d’intérêt. «Avant de disparaître, ses banquiers s’étaient montrés très agressifs avec une clientèle d’entrepreneurs suisses et de professionnels indépendants, rappelle-t-il. Et cela a très bien fonctionné.»

Cette stratégie aurait donné des idées à d’autres établissements qui se seraient empressés d’aller chasser de nouveaux clients sur des terres relativement éloignées des centres urbains habituels. Des terres surtout réservées jusque-là aux deux géants – UBS et Credit Suisse – et aux banques cantonales.

Pour attirer cette clientèle indigène, les banquiers privés ont toutefois dû faire un effort de communication, précise Emmanuel Genequand. «Il fallait que les clients potentiels comprennent qu’ils n’avaient pas forcément besoin de 5 millions de francs pour ouvrir un compte mais que 1 million pouvait suffire, explique-t-il. Les banques ont ainsi redimensionné leurs offres en proposant, par exemple, des mandats simplifiés.»

Si la clientèle suisse a le vent en poupe, le dernier sondage de la Fondation Genève Place financière démontre néanmoins que l’évolution des apports nets de fonds résulte toujours «prioritairement» d’une clientèle résidant à l’étranger. C’est le cas pour 100% des banques genevoises de plus de 200 emplois et pour 91,7% des banques comptant entre 50 et 199 employés. La dépendance est un peu moindre (57,1%) pour les banques ayant moins de 50 employés.

A ce titre, les marchés émergents représentent, évidemment, une alternative de choix aux yeux des banquiers privés puisque de nombreuses fortunes s’y créent chaque jour. Les tentatives des banques suisses de se développer en Asie n’ont toutefois pas toujours été couronnées de succès tant la clientèle asiatique, davantage centrée sur le trading et le crédit, est particulière et volatile. Quant à l’Amérique latine, un temps perçue comme le nouvel eldorado, l’heure est plutôt à la régularisation et au reflux des fonds en raison, notamment, des amnisties fiscales mises en place par plusieurs Etats.

Le Moyen-Orient revient en force

A l’inverse, la clientèle moyen-orientale attise de nombreuses convoitises. «Ce n’est pas quelque chose de nouveau, souligne Emmanuel Genequand. Mais il est vrai que l’on voit un regain d’intérêt, notamment de la part d’acteurs qui ne s’y étaient pas ou peu intéressés jusqu’ici.»

La banque privée zurichoise Vontobel est l’une d’entre elles. Lors d’un déjeuner organisé avec les médias fin octobre, son directeur, Zeno Staub, n’a pas caché son intention de développer cette clientèle, depuis Genève. «C’est une région du monde qui continue de créer de la richesse, rappelle Emmanuel Genequand. Et dans laquelle il n’existe pas ou peu de problèmes d’ordre fiscal.»

Un temps bannis, les clients américains font pour leur part une timide réapparition dans les discussions de banquiers. Si les grands acteurs ont toujours maintenu une infrastructure sur place, comme Pictet et UBP, d’autres y ont mis les pieds plus récemment.

La banque Reyl a ainsi ouvert deux succursales depuis l’été 2015: l’une à Santa Barbara (Californie) et l’autre à Dallas (Texas). Pour l’établissement genevois, qui rappelait dans un communiqué que le Texas compte plus de 350 000 millionnaires, il s’agissait de «tirer parti du dynamisme de l’économie américaine et de ses talentueux créateurs d’entreprises».

Dans une récente interview au «Temps», Alfredo Piacentini, ancien associé de la banque Syz et désormais directeur de Decalia Asset Management, assurait qu’il s’installerait plus volontiers aux Etats-Unis qu’en Asie, qui a été «le Waterloo» de nombreuses banques de taille moyenne ces dernières années. «Les marges y sont plus intéressantes qu’en Europe et la gestion discrétionnaire plutôt bien rémunérée», expliquait-il.

Prudence sur l’Afrique

Reste la clientèle africaine. Nicolas Pyrgos, directeur d’Emeraude Suisse Capital, confirme l’intérêt grandissant dont elle fait l’objet. Selon le gérant de fortune genevois, les banques s’y intéressent toutefois par dépit. «Elles recherchent aujourd’hui des clients qui ne posent pas de problèmes fiscaux, explique-t-il. Or, de nombreux Etats africains n’ont pas d’impôt sur la fortune, ce qui est un certain avantage.»

Selon lui, les banques restent toutefois prudentes avec la clientèle africaine, conscientes des risques de corruption qui peuvent exister sur place. Certaines, à l’instar de Julius Baer, ont ainsi décidé de se concentrer sur un nombre limité de pays tandis que d’autres, et notamment les banques françaises, ont préféré se retirer entièrement du marché africain. «La place a été prise par des établissements plus petits qui ont peut-être moins peur qu’elles pour leur réputation», conclut Nicolas Pyrgos.

Pour Emmanuel Genequand, l’Afrique ne deviendra pas pour autant la nouvelle Amérique latine. «Il est vrai que certaines banques lorgnent du côté de l’Afrique du Sud et que d’autres se sont récemment intéressées à l’Angola ou au Nigeria, souligne-t-il. Mais cela reste très opportuniste pour l’instant, avec des risques difficilement mesurables et contrôlables en dehors de l’Afrique du Sud.»