Justice
Au Tribunal correctionnel de Paris, les représentants d’UBS AG déroulent leur stratégie: les flux financiers entre la France et la Suisse n’étaient en aucun cas la conséquence de «démarchages illicites» ou de «blanchiment»

Les avocats d’UBS ont raison: il manque à ce procès parisien ceux dont tout le monde parle depuis son ouverture, le 8 octobre, sous le vocable de «clients» ou de «prospects». Imaginons un peu la scène, si quelques épargnants français ayant placé leur patrimoine en Suisse dans les années 2014-2012 – régularisés ou non par la suite sur le plan fiscal – étaient là, en personne, face à la présidente du Tribunal, aux procureurs du Parquet national financier, et aux défenseurs de la banque helvétique.
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Les mérites de «l'excellence»
Imaginons qu’ils soient là, dans cette grande salle du tout nouveau tribunal au parquet clair, pressés de dire si oui ou non, à leur connaissance, UBS AG, UBS France et les six autres prévenus (tous ex-cadres des deux banques) se livraient aux délits qui leur sont reprochés par la justice française: «blanchiment de fraude fiscale», «démarchage bancaire illicite» et «complicité».
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Que diraient-ils? Confirmeraient-ils, comme l’a asséné lundi à la barre le représentant d’UBS AG «qu’en Suisse, il n’a jamais été possible d’arriver dans une banque avec une mallette remplie de liquide. C’est du fantasme. L’argent, on le reçoit par transfert bancaire traçable»? Correspondraient-ils à ce portrait dressé par ce banquier «de clients qui demandent à bénéficier de comptes en poste restante parce qu’ils voyagent ou parce qu’ils souhaitent dissocier gestion de leur patrimoine et famille»?
Confirmeraient-ils, comme il l’explique après avoir vanté les mérites de «l’excellence» bancaire helvétique, que «les fondations et les trusts n’ont jamais été utilisés pour contourner les obligations fiscales. Ils correspondent à un objectif économique et aux activités philanthropiques que les gens très fortunés mènent dans le domaine culturel»?
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Une accusation complexe
L’accusation, on l’a compris, mise tout son raisonnement sur un élément simple: les flux financiers entre la France et la Suisse sur la période concernée. En pages 34 et 35 de l’ordonnance de renvoi en procès, les juges d’instruction Guillaume Daieff et Serge Tournaire ont aligné les estimations des actifs off shore alors sous gestion du desk «France International» d’UBS AG. 10,7 milliards d’euros au 1er juin 2006, selon les informations des autorités fiscales allemandes. 18,2 milliards d’euros en décembre 2008 si l’on fait un parallèle avec les avoirs américains.
Eric Russo, procureur adjoint, est donc véhément, arc-bouté sur l’évidence énoncée dans l’ordonnance: 3,7 milliards d’euros d’avoirs déclarés à des fins de régularisation au 30 octobre 2015 par 3983 contribuables français provenaient d’UBS. Alors il interpelle. Il questionne. Il relit les mots qui font mal et que le représentant d’UBS nie: «complex money» (argent déclaré au fisc selon l’accusation) ou «simple money» (non déclaré): «Il s’agissait juste d’une différence établie en fonction de la complexité des placements proposés», répond celui-ci.
La présidente, elle, oscille entre calme et léger énervement. Oui, dit-elle au banquier suisse, interrogé pendant plus de trois heures et pédagogue comme une horloge, elle «comprend bien ce qu’il dit». Elle s’étonne juste que «tous les témoins-lanceurs d’alerte cités dans le dossier soient considérés aujourd’hui comme pas crédibles ou malhonnêtes» par UBS, qui les employa un temps. «Vous aviez donc de sérieux problèmes de recrutement?» ironise la magistrate.
«La Suisse bancaire en version rectiligne»
La défense d’UBS est une armée en campagne. Discret, toujours à gauche du dirigeant d’UBS interrogé, Me Jean Veil est le surveillant en chef. C’est à Me Denis Chemla, debout de l’autre côté, que revient le soin de cogner. On le voit lorsqu’il rentre sa tête dans les épaules, la main prête à jaillir pour dénoncer, au choix, mensonges, affabulations ou erreurs de l’instruction et de l’accusation. Lui et Eric Deseuze, l’avocat d’UBS France – grand vainqueur du procès de la famille Wildenstein, accusée de fraude fiscale et innocentée en première instance puis en appel en 2017 –, se précipitent sur chaque pièce pour mieux la démonter. Ils connaissent tout «en six années de procédures».
Ils parlent des 423 clients d’UBS soi-disant identifiés grâce aux fichiers retrouvés, et… dont seuls six avaient des comptes non déclarés. Ils ricanent presque lorsque l’avocate du fisc souligne les difficultés rencontrées jadis dans les demandes d’entraide judiciaire avec la Suisse. Pas étonnant, puisque les fonctionnaires français formulaient mal les demandes… Ils nient les blocages, la rétention d’informations passée. Le portrait qu’ils dressent d’UBS est net, clair, précis, irréprochable. La Suisse bancaire en version rectiligne.
Oui, les clients. Ou sont-ils? A force, les flux financiers semblent évaporés. D’ailleurs, ont-ils existé, ces milliers de fraudeurs, ailleurs que dans l’imagination de la presse et du parquet? «Au fond, l’on reproche à UBS d’avoir appliqué à la lettre la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne (qui fiscalisait une petite partie des avoirs des clients non résidents)», risque Denis Chemla. Réponse du banquier suisse «Oui, c’est exactement cela.» Prochaine audience mercredi à 9h.