Sanction
Dans l’affaire de la manipulation des taux Libor, l’autorité de concurrence a décidé d’une amende d’un peu moins de 100 millions dans cinq procédures impliquant plusieurs banques

C’est l’un des dossiers «les plus complexes» et l’une des «sanctions les plus importantes» pour la Commission de la concurrence (Comco). L’enquête lancée dans l’affaire de la manipulation des taux de référence Libor a même «sans doute été la plus complexe car elle impliquait plusieurs cartels, un grand nombre de parties, le tout avec des ramifications internationales», explique Vincent Martenet, président de l’autorité. En résumé: elle a été un «assemblage de toutes les difficultés qui peuvent se présenter dans une procédure».
Avec pour résultat, une sanction totale de 99,1 millions de francs annoncée mercredi, que se partagent plusieurs banques dans cinq procédures différentes. JP Morgan et Barclays sont les plus durement punies. La banque américaine, avec 33,9 millions «pour sa participation au cartel bilatéral visant à influencer les taux d’intérêt de référence Libor en francs» et la banque britannique avec près de 30 millions pour sa participation au cartel sur les produits dérivés en euros.
Credit Suisse puni
Côté suisse, Credit Suisse devra s’acquitter de 2 millions de francs pour son rôle dans le cartel sur les écarts de cotation des prix (spreads) des produits dérivés en francs. Plusieurs banques ont obtenu des remises totales (Royal Bank of Scotland pour le libor en francs, UBS pour les écarts de cotations) pour avoir dénoncé des ententes, ou partielles, pour avoir coopéré à l’enquête. Pour mémoire, la Finma avait déjà jugé qu’UBS avait «gravement violé la législation suisse sur les marchés financiers» et lui avait confisqué 59 millions de francs de bénéfices indus, tout en lui imposant des mesures, pour l’affaire du Libor en décembre 2012.
Le scandale a éclaté début 2012, lorsqu’il est apparu que plusieurs banques avaient manipulé le taux Libor, qui sert de référence pour fixer les taux d’intérêt de produits financiers, allant des hypothèques aux cartes de crédit en passant par les produits dérivés. On estime leur montant total à 350 milliers de milliards de dollars.
La plus grosse facture pour Deutsche Bank
Si les amendes frisent les 100 millions de francs, fait rare dans une affaire de concurrence en Suisse, elles peuvent sembler négligeables au regard des factures infligées aux banques dans d’autres pays. Les ardoises se sont multipliées dans cette affaire, imposées à la fois par les régulateurs financiers et les autorités de la concurrence. En décembre 2012, UBS a par exemple dû s’acquitter de 1,5 milliard de dollars, partagés entre les régulateurs américains et britanniques. Elle a été dispensée de payer 2,5 milliards aux régulateurs européens pour s’être auto-dénoncée. Mais c’est Deutsche Bank avec 2,5 milliards de dollars imposés par les autorités anglo-saxonnes (dans ce cas, essentiellement des régulateurs financiers) qui a dû payer la plus importante amende, après avoir déjà reçu 259 millions d’euros de pénalités de la part de la Commission européenne. Plusieurs banquiers ont également été condamnés à de la prison en Grande-Bretagne.
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Face à des chiffres aussi élevés, la Comco se défend d’imposer des sanctions au rabais. «Il faut garder en tête qu’il s’agit de montants importants par rapport au marché suisse et aux liens de cette affaire avec le pays», justifie Vincent Martenet. «Si vous prenez le nombre d’habitants et le volume de négoce en jeu en Suisse et le nombre d’habitants en Europe ou aux Etats-Unis, en proportion, les amendes sont comparables», poursuit-il. Et si l’on prend la taille des banques? «Il faut être prudent avec ce critère. Il faut tenir compte des volumes de négoce en jeu plus importants sur des marchés plus grands, ce qui peut justifier une plus grande sanction». Quant à l’effet dissuasif et préventif, le président de l’autorité estime qu’il fonctionne: «Il faut regarder l’ensemble du tableau. La sanction suisse s’additionne à celle d’autres juridictions. Le dommage, en termes de réputation, est important pour les banques. Et à cela s’ajoutent encore des procédures civiles toujours en lien avec l’affaire du Libor, de même que les frais que toutes les procédures ont engendré», argumente-t-il.
Rabais en cas d’autodénonciation
Les amendes sont calculées en fonction du volume du négoce en jeu avec des contreparties suisses, de la gravité et de la durée de l’infraction, explique Vincent Martenet. L’affaire n’est pas encore tout à fait close pour la Comco. Mais le plus important a été fait avec ces accords et ces annonces. L’autorité détaille en outre certains des comportements jugés frauduleux. Dans le cas du Libor en francs, par exemple, «entre mars 2008 et juillet 2009, RBS et JP Morgan ont essayé d’influencer le cours normal des prix des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en francs suisses», explique le communiqué, qui ajoute qu’elles ont «occasionnellement» discuté «des futures soumissions des taux» ou «échangé des informations sur les positions de négociation et les prix escomptés».