Justice
Les investigations menées contre UBS et le procès Cahuzac-Reyl sont considérés comme de solides acquis par le Parquet national financier. Mais l’entraide judiciaire patine encore

Les quinze magistrats du Parquet national financier Français (PNF) ne sont pas encore pleinement satisfaits de la coopération judiciaire avec la Suisse, en matière de lutte contre la fraude fiscale. Alors que le passage prochain de la Confédération à l’échange automatique d’informations bancaires dans le cadre de l’OCDE – à partir de 2018 sur la base des données 2017 – devrait radicalement changer la donne pour les administrations fiscales, les juges français restent frustrés des réponses obtenues auprès de leurs collègues helvétiques.
«Des difficultés subsistent avec la Suisse. Tous les obstacles juridiques propres au système helvétique n’ont pas encore été levés, notamment en raison de la distinction qui subsiste entre soustraction fiscale et escroquerie», a confirmé au Temps une source au ministère français de la justice. A l’inverse, a-t-on appris à Paris, «des progrès considérables» ont été enregistrés avec plusieurs destinations autrefois très réticentes à coopérer, telles les Iles vierges britanniques, Bahamas ou Saint-Vincent et Grenadines.
«L’arsenal judiciaire comporte des lacunes»
Cette frustration des magistrats français est à mettre en rapport avec les enjeux judiciaires actuels. Après la tenue en septembre du procès de l’ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac, de son ex-épouse Patricia et de la banque genevoise Reyl, et vu les lourdes condamnations prononcées, beaucoup d’observateurs français estiment que la traque des fraudeurs est devenue très dissuasive.
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Ce qui n’empêche pas le Ministère des finances de nuancer: «L’arsenal judiciaire comporte encore des lacunes, concède-t-on dans l’entourage du ministre Michel Sapin. Outre la Suisse, la mauvaise coopération avec Andorre et le peu d’empressement de pays, comme Singapour, à mettre en œuvre les accords signés dans le cadre du Forum fiscal mondial de l’OCDE, assombrissent les résultats records obtenus en matière de régularisation fiscale depuis le début du quinquennat de François Hollande (2,6 milliards d’euros de recettes en 2015, dont 900 millions de pénalités et amendes).»
Coopération totale sur d’autres dossiers
Le cas de la Suisse est d’autant plus éloquent que dans d’autres domaines que la fraude fiscale, les magistrats helvétiques coopèrent pleinement. Par exemple, sur le dossier des biens mal acquis par les dictateurs africains et leurs clans, mis en évidence par l’ouverture – puis le report – du procès à Paris du fils du dictateur équato-guinéen début janvier.
Les affaires UBS et HSBC, susceptibles de déboucher sur des procès d’anthologie en 2017, sont donc emblématiques, surtout après la relaxe générale du marchand d’art Guy Wildenstein décrétée mardi avec surprise par la 32e chambre correctionnelle de Paris.
Accusé de «fraude fiscale et de blanchiment en bande organisée», ce dernier a vu le président de la 32e chambre correctionnelle abandonner les charges qui pesaient sur lui, faute d’avoir pu prouver qu’il était bien le bénéficiaire des trusts créés par lui-même au Royaume-Uni et dans les territoires dépendants de la couronne britannique. Et que ces véhicules juridiques avaient pour objectif, avant 2011, la dissimulation fiscale.
Obtenir des noms hors de l'échange automatique
«Tout l’enjeu des prochaines années sera d’identifier ceux dont les noms n’apparaissent pas au fil de l’échange automatique d’informations, confirme un magistrat français. Or sans une pleine coopération judiciaire, cela sera très difficile.»
Le PNF attend les décrets d’application de la loi Sapin II adoptée le 9 décembre dernier pour y voir définitivement clair sur les conditions d’application de la convention judiciaire d’intérêt public, mécanisme directement inspiré du Deferred Prosecution Agreement (DPA) en vigueur aux Etats Unis, qui peut permettre à une personne morale de négocier l’abandon des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité.
Le Temps a appris les deux points cruciaux de ce dispositif qui, dans le cas d’UBS, peut encore être activé tant que l’ordonnance de renvoi en procès de la banque n’a pas été rendu par les juges d’instruction français. Le premier est le montant prohibitif de l’amende, susceptible d’atteindre, selon le texte de loi, jusqu’à 30% du chiffre d’affaires de l’établissement. Le second est l’absolue confidentialité que doivent respecter les parties car, en cas d’échec, ni la défense ni l’accusation ne pourront faire mention de ces tractations lors d’un éventuel procès.