A quoi bon se reporter, à chaque audience, aux 79 pages de l’ordonnance de renvoi d’UBS France, UBS AG et six de leurs anciens cadres devant le Tribunal correctionnel signée le 17 mars 2017 par les juges d’instruction Guillaume Daieff et Serge Tournaire? A quoi bon prendre soin de relire encore, à chaque audience, les accusations mentionnées dans ce document, portées contre leurs ex-employeurs UBS France et UBS AG par l’ancienne responsable événementielle Stéphanie Gibaud, l’ancien auditeur Nicolas Forissier ou l’ancien chargé des riches clients américains Bradley Birkenfeld?

A quoi bon… puisque tout est «faux, inventé, tronqué, mensonger» et en tout cas irréconciliable avec les vérités que les prévenus, les représentants de la banque et leurs défenseurs assènent depuis lundi:

1) UBS et sa filiale disposaient de règles strictes, appliquées à la lettre par ses chargés d’affaires, prohibant tout démarchage bancaire illicite en France.

2) UBS et sa filiale ont «vérifié, croisé, épluché» les 3 milliards d’euros de flux financiers suspects entre la France et la Suisse entre 2004 et 2012 (sur plus de 200 ATA ou Asset Transfer Adjustments, ciblés par la justice française) pour aboutir… à un bien maigre reliquat problématique de 30 millions d’euros. A des années-lumière de la caution de 1,1 milliard d’euros payée en 2014.

Presque une offense

Le message est limpide et UBS AG, auditionnée ce jeudi, va le répéter en bulldozer bancaire: dossier vide, accusations fausses, approximations inacceptables. Les mots ne sont pas prononcés mais on peut les résumer ainsi: un tel procès, sur la base d’un pareil ramassis de mensonges, de rumeurs et de règlements de comptes est, à entendre les prévenus et leurs avocats, presque une offense à la première banque suisse dont la filiale française gère toujours aujourd’hui 17 milliards d’euros d’actifs.

Mieux: un traitement indigne d’un Etat de droit scrupuleux, soucieux de valoriser sa place financière à l’heure du Brexit britannique et du combat entre Paris, Francfort et Amsterdam pour attirer les financiers de la City. Pourquoi, dès lors, suivre les audiences prévues jusqu’au 15 novembre?

«Le monde de la finance, c’est la guerre»

La réponse que la présidente du tribunal, Christine Mée, cherche avec méthode et courtoisie au fil de ses questions, est donc peut-être ailleurs. Pas dans les règles internes d’UBS – les country papers énumérées à la ligne près par ses représentants. Pas dans les fichiers ATA dans lesquels tout le monde se perd, sauf UBS. Pas dans les chiffres énoncés mercredi par un familier des tribunaux, l’ancien numéro trois d’UBS AG Raoul Weil, qui présidait aux destinées de son département Wealth Management International jusqu’en 2008 et fut poursuivi aux Etats-Unis, où il fut acquitté en juillet 2014, cinq ans après la livraison par la Suisse de 4450 noms de clients fraudeurs au fisc américain.

La réponse que la magistrate semble chercher entre les dénégations virulentes d’UBS et les diverses analyses fournies par ses avocats, tient en deux mots: crédibilité et sincérité. Qui est crédible? Qui est sincère? Patrick de Fayet, l’ancien numéro deux d’UBS France, n’a-t-il pas dit à la barre la semaine dernière que «le monde de la finance, c’est la guerre»? Raoul Weil – entouré de deux interprètes car il s’exprime en anglais – ne commence-t-il pas son intervention en disant que «les chargés d’affaires sont des égomaniaques toujours prêts à recevoir mais jamais à donner, obsédés par leurs territoires»? Une ambiance à l’évidence propice à une furieuse compétition entre Français et Suisses au sein d’UBS.

Les lanceurs d'alerte, ces «menteurs compulsifs»

Chaque silence, chaque hésitation, chaque oubli ressemble à un caillou dans le labyrinthe de documents produits. Il faut, dit Raoul Weil, entre trois et cinq ans pour récupérer la fortune d’un client. Il était «inimaginable», poursuit le banquier – après avoir rappelé «sa détention en Italie aux côtés d’un mafieux albanais» –, de parler gestion de fortune lors d’un concert ou d’un événement sportif organisé par UBS. Et puis survient l’assaut sans pitié sur les «lanceurs d’alerte».

Responsable du marketing à UBS France, Stéphanie Gibaud – qui poursuit l’Etat français dans une autre procédure ce jeudi – «ne pouvait pas savoir» ce que les chargés d’affaires venaient faire avec les «prospects», ce nom utilisé pour désigner des clients existants ou à venir, protégés par le secret bancaire suisse. Bradley Birkenfeld, la «balance» récompensée par plus de 100 millions de dollars par le fisc américain, «est un menteur compulsif, fidèle au titre de son livre, Le banquier de Lucifer». Nicolas Forissier, l’ex-auditeur, n’a jamais fait parvenir de rapport à la hiérarchie zurichoise de la banque.

On sourit enfin lorsque Raoul Weil, précis, tient à dire, très sérieux, que Bradley Birkenfeld «n’est pas un voleur». Ce lanceur d’alerte-là avait au moins mérité ses bonus. Le rouleau compresseur de la banque présumée innocente est sans merci pour les personnes et leurs éventuels états d’âme. Mais en bonnes machines à calculer, l’administration d’UBS et ses dirigeants aujourd’hui traduits en justice pour «démarchage bancaire illicite», «blanchiment de fraude fiscale» et «complicité», savent encore reconnaître les profits passés.