«Coronabonds», le jour J
Covid-19
Les ministres des Finances de la zone euro décideront ce mardi des mesures pour financer aussi bien la lutte contre la pandémie que la relance à la sortie de la crise. En Allemagne, l’opposition à des obligations paneuropéennes fléchit, mais la cause n’est pas entendue. Italie et Espagne ne relâchent pas la pression

«Nein.» Il y a neuf ans, Michael Hüther, l’un des économistes les plus influents, avait opposé un non catégorique à l’appel au secours des pays d’Europe du Sud qui étaient alors étranglés par la dette. «Des euro-obligations constitueraient une incitation négative qui récompenserait le manque de discipline budgétaire de la part de ces Etats», avait clamé le directeur du German Economic Institute de Cologne.
Cette histoire, c’est le Taggesspiegel de mardi dernier qui la rappelle, ajoutant que le même Michael Hüther vient de faire volte-face. L’économiste a appelé la zone euro à émettre des obligations à hauteur de 1000 milliards d’euros pour venir en aide aux pays ravagés par le Covid-19. «A moins de venir avec des fonds communs, je vois un avenir sombre pour l’Europe, a-t-il mis en garde dans le quotidien. Il ne s’agit pas de financer la construction de barrages dans le centre de l’Italie. Il y va de la vie et de la mort.»
Les fronts se dilatent en Allemagne
Autant dire que le débat sur les «coronabonds» pour lutter contre le Covid-19 et qui a fait couler beaucoup d’encre depuis trois semaines arrive à son apogée. L’Eurogroupe (ministres des Finances de la zone euro) est appelé à trancher lors de sa réunion par vidéoconférence de ce mardi. Pour l’heure, une chose est certaine: en Allemagne, où l’opposition à la mutualisation de la dette est un tabou, les fronts se dilatent.
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Outre la prise de parole par Michael Hüther, deux ministres du gouvernement de coalition et pas des moindres, Heiko Maas (Affaires étrangères) et Olaf Scholz (Finances), ont publié dimanche une lettre ouverte dans cinq grands journaux – Les Echos (France), La Stampa (Italie), El Pais (Espagne), Publico (Portugal) et Ta Nea (Grèce) – et proposent la création d’un fonds d’aide paneuropéen. «L’objectif est de remettre la zone euro debout dès la fin de la pandémie», affirment les deux ministres sociaux-démocrates.
«Il n’y a pas de fossé entre le Nord et le Sud. C’est le moment d’agir de façon solidaire, en créant un nouveau mécanisme de mutualisation de la dette»
Il faut dire que l’Italie et l’Espagne, les deux pays les plus meurtris par le Covid-19 ne relâchent pas la pression. Après le premier ministre italien, Giuseppe Conte, qui s’était adressé à un large public allemand par le biais d’une interview accordée à l’ARD, la télévision allemande publique, c’est le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui est monté au créneau ce week-end. Dans une tribune publiée dimanche dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, il a insisté sur le fait qu'«il n’y a pas de fossé entre le Nord et le Sud. C’est le moment d’agir de façon solidaire, en créant un nouveau mécanisme de mutualisation de la dette, en agissant en bloc pour acquérir des produits sanitaires et en préparant un grand plan choc pour que le redressement du continent soit rapide et solide.»
Mais la cause n’est pas entendue
L’idée d’émettre des «coronabonds» est également soutenue ouvertement par deux commissaires européens. Dans une tribune publiée lundi dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung et dans Le Monde, le Français Thierry Breton (Marché intérieur) et l’Italien Paolo Gentiloni (Economie) plaident en faveur d’un fonds européen qui serait financé par l’impôt et capable d’émettre des obligations à long terme. Il servirait à financer la relance à la sortie de la pandémie.
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Toutefois, même si le camp en faveur de «coronabonds» grossit en Allemagne, il n’est pas certain que la cause soit entendue. «Les deux camps sont bien à part, observe Gregory Claeys, économiste à l’Institut Bruegel, centre d’analyses politiques et économiques à Bruxelles. Il y a bel et bien un assouplissement dans le discours allemand et le ton est plus agréable. Mais dans le détail, les positions restent figées.» Selon lui, un consensus pourrait tout de même se dégager mardi autour de plusieurs solutions.
La voie aux extrémismes
A commencer par le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui est déjà doté de 400 milliards d’euros et dont l’objectif est de prêter aux pays en difficulté. «Il se pourrait que, cette fois-ci, les prêts soient accordés sans programme d’austérité imposé et sans supervision extérieure, imagine Gregory Claeys. Parallèlement, l’Eurogroupe pourrait aussi créer un fonds dédié à des tâches précises comme l’aide aux PME.»
Pour Gregory Claeys, les décideurs allemands ont sans doute le sentiment qu’il n’y a pas d’urgence puisque la Banque centrale européenne a déjà injecté des milliards dans le circuit. «En réalité, ils ne comprennent pas le drame qui se joue en Italie ou en Espagne. Ces pays se sont endettés pour combattre la pandémie et compromis leur croissance. Le manque de solidarité causerait frustration et colère et ouvrirait la voie à un sentiment anti-européen, voire aux extrémismes.»