interview
Gérard Fischer, directeur de Swisscanto, explique pourquoi beaucoup d’investisseurs ont raté la hausse des marchés. Il s’exprime sur les changements réglementaires que vivent les acteurs suisses dont ce spécialiste des fonds de placement créé par les banques cantonales et qui gère 52 milliards de francs

Spécialiste des fonds de placement, Swisscanto ne parle pas d’une année 2013 exceptionnelle. Certes, les bourses ont largement progressé. Les investisseurs n’en ont de loin pas tous profité. Gérard Fischer, son directeur, s’exprime en outre sur les changements réglementaires que vivent les acteurs suisses dont cette société créée par les banques cantonales et qui gère 52 milliards de francs.
Le Temps: Les marchés des actions ont largement progressé en 2013. Le bilan est-il bon pour Swisscanto?
Gérard Fischer: Oui et non. Les actions ont effectivement grimpé et les obligations – du moins certaines catégories – ont aussi plutôt bien performé. Mais les investisseurs ont encore pour beaucoup laissé leur fortune sur des comptes épargne. Ils n’ont donc pas profité de la hausse des bourses. On ne peut pas dire que ce soit vraiment une excellente année, on observe des mouvements entre certaines catégories d’actifs, mais pas réellement une hausse nette des volumes investis.
Peu d’investisseurs ont donc profité de la hausse des bourses?
Ceux qui étaient déjà investis en ont bénéficié, mais nous avons vu peu d’investisseurs revenir sur les marchés boursiers. Au début de l’année 2013, nous avons eu l’impression qu’ils hésitaient, qu’ils étaient trop nerveux pour se lancer et acheter des actions. Au mois de juin, les bourses ont réagi fortement lorsque la Réserve fédérale américaine a annoncé envisager de freiner son soutien à l’économie. Les craintes se sont renouvelées. A juste titre, car nous savons qu’il y a trop de liquidité dans les marchés. Cela ne peut pas durer éternellement, les banques centrales – et la Fed a commencé ce processus – vont progressivement en retirer.
En 2012, peu d’investisseurs ont profité de la hausse des bourses. Pourquoi n’ont-ils pas voulu essayer d’en bénéficier en 2013?
«Mieux vaut rater une hausse que prendre des risques.» J’ai souvent entendu cette remarque de la part des investisseurs, qui, de ce fait, gardent leur fortune sur des comptes épargne. Le courage manquait encore pour se lancer en bourse.
Quels fonds de placement ont-ils eu le plus de succès en 2013?
Trois types de véhicules ont été très prisés. Les fonds investissant dans l’immobilier, surtout suisse, d’abord, ont attiré les institutionnels en priorité. Lever des fonds n’est pas un problème. Mais trouver des immeubles à des prix raisonnables pour les placer est en revanche devenu très difficile. Deuxième catégorie, les fonds obligataires spécialisés dans la dette d’entreprise et, en particulier, celle à haut rendement, ont enregistré des afflux. Par rapport aux obligations traditionnelles, l’écart de rendement était très attrayant. L’intérêt est retombé en fin d’année, car cet écart s’est resserré. Enfin, les fonds orientés vers une performance absolue (absolute return), qui cherchent le rendement tout en minimisant les pertes et sans se comparer à un indice de référence, ont eu du succès. Ces produits sont mieux adaptés aux besoins des investisseurs, surtout privés. Leur succès ne relève donc pas simplement d’un effet de mode.
Quelles sont les perspectives pour les fonds de placement en 2014?
Nous espérons que les investisseurs trouveront le courage d’acheter des actions. Nous sommes optimistes pour le marché de l’immobilier, même s’il est toujours moins facile de trouver des investissements intéressants. En ce qui concerne l’obligataire, nous nous attendons à un plafonnement des investissements dans le segment «haut rendement» et les emprunts d’entreprises en général. Nous recommandons aux investisseurs de se positionner dans les marchés des actions, tout en restant prêts à sortir en cas de retournement de tendance.
De plus en plus de caisses depension s’intéressent à la gestion passive. Pour vous, c’est un autre type de concurrence, qui coûte moins cher. Est-ce que cela vous inquiète?
Nous avons quelques fonds indiciels, mais pas d’ETF car nous ne sommes pas des courtiers. Nous avons enregistré quelques entrées de capitaux. La nouvelle réglementation, qui demande à toute caisse de pension de déclarer les frais de gestion et les coûts en fin d’année, pousse vers ce type de produits. Chacun veut montrer qu’il a des coûts maîtrisés. Dans les actions, les produits indiciels peuvent être intéressants si l’on veut limiter l’exposition à des positions actives dans des marchés bien définis. Pour les obligations, par contre, cela n’a aucun sens. Suivre un indice peut vouloir dire acheter des obligations avec un rendement négatif, par exemple. Les investisseurs risquent de rater des possibilités de rendements.
Est-ce que cela vous a conduit à réduire vos frais?
Nous avons eu de nombreuses discussions sur les frais dans la gestion institutionnelle, d’une part, en raison de la concurrence avec les produits indiciels et, d’autre part, en raison des rétrocessions, dont les prescriptions ont changé au début de 2012, exigeant une plus grande transparence. Suite à cela, les caisses de pension ont renégocié les contrats et cela a changé les relations entre banques dépositaires, gestionnaires – comme nous – et les caisses de pension. Les frais ont donc diminué. Certaines caisses de pension s’attendaient à une réduction des frais plus importante, il a fallu leur expliquer que ce n’était pas possible. Nous devons faire face à des exigences réglementaires plus strictes et à une gestion du risque plus encadrée, cela entraîne des coûts.
De manière générale, quel est l’impact de cet arrêt du Tribunal fédéral (TF) du 30 octobre 2012 sur la rémunération de la distribution de vos produits?
Cela change notre manière de fonctionner. Mais ce n’est pas une discussion nouvelle. Elle est aussi en cours dans l’Union européenne. Il est surprenant qu’un modèle établi ces vingt dernières années et jugé conforme par les juristes bancaires ne soit soudain plus valable. Est-ce une erreur collective? Dans les années 1990, il n’y avait pas de rétrocessions. Mais il n’y avait pas d’architecture ouverte non plus. Les rétrocessions ont rendu ce développement possible. Mais elles n’ont fait qu’augmenter, atteignant en moyenne 50% aujourd’hui. Ce n’est pas dans l’intérêt du client. L’arrêt du TF corrige un peu ces exagérations. Si ces rémunérations étaient restées entre 10 et 20%, il n’y aurait probablement pas eu de plainte et le modèle aurait pu être acceptable pour les investisseurs.
Toutes les banques ont revu les mandats de leurs clients et leurs déclarations de frais. Avec cet arrêt, les rétrocessions, jusqu’ici justifiées par les tâches de distribution, doivent être remboursées au client à moins que celui-ci y renonce explicitement. Certaines banques ont choisi d’utiliser uniquement des fonds sans rétrocessions, ou, si c’est le cas, les remboursent au client. Cet arrêt et le changement de réglementation pour les caisses de pension ont eu un effet sur les volumes investis dans les fonds sans rétrocessions. Un peu plus de 30% de nos actifs sous gestion – 52 milliards de francs – sont investis dans ce type de véhicules. Idem sur notre plateforme de fonds tiers, où huit banques ont placé 26 milliards: le volume est passé de 10% à un tiers en trois ans. Le marché est en train de changer. Cela dit, peu de clients ont réagi à l’arrêt du Tribunal fédéral.
Un monde sans rétrocessions, n’est-ce pas plus simple?
C’est plus simple dans la mesure où nous n’avons plus cette comptabilité à faire. Mais cela change aussi la relation. Nous signons des contrats avec des distributeurs qui ont un certain nombre d’obligations, comme la formation de leurs employés ou la documentation sur les produits. Nous les indemnisons avec les rétrocessions. Si ce n’est plus possible, il faudra trouver comment les rémunérer autrement. Du point de vue du client, il est cependant vrai qu’il pourra mieux comparer les prestations.
Comment voyez-vous l’évolution de l’industrie des fonds sous l’effet de cette transparence nouvelle?
Partout, des discussions ont lieu pour trouver un modèle qui redonnerait confiance au client. Aux Etats-Unis, les deux modèles – avec ou sans rétrocessions – coexistent. Pour un petit client, les rétrocessions peuvent être acceptables et même meilleur marché en évitant de payer en sus une facture de la banque pour la gestion. Pour des plus gros clients, où les exigences et les volumes deviennent plus élevés, des frais de gestion pourraient être plus adaptés. A ce stade, il est difficile de déterminer l’impact, car le marché est encore en train de se repositionner. Les banques pourraient revenir au modèle qui prévalait il y a 25 ans et proposer uniquement leurs produits maison. Elles pourraient aussi chercher des fonds bon marché ou indiciels. Si les clients peuvent comparer les offres, en termes de coûts et de qualité de prestations et si les gestionnaires s’intéressent plus aux performances et moins aux rétrocessions, on verra uniquement les meilleurs produits survivre.
Dans quelle mesure la révision de loi sur les placements collectifs de capitaux (LPCC) a-t-elle un impact sur la conduite de vos affaires?
Pour les clients, je ne vois pas de bénéfices, alors que le but de la révision de la LPCC était de mieux protéger les investisseurs. Ils ont davantage d’informations, c’est vrai, mais elles ne sont pas vraiment utilisées par ces derniers. Cela constitue encore un coût de mise en œuvre, qui rend tout plus compliqué et plus cher. Quel est vraiment le bénéfice de l’exercice?
Quelle est votre vision du développement de la place financière?
Avec cet environnement de taux bas, certaines catégories de produits ne sont plus intéressantes et risquent de disparaître. C’est le cas des fonds monétaires. En outre, la réglementation et les frais de la gestion de fortune vont apporter des changements. L’idée de réglementer la vente de produits financiers va complètement changer les modèles de distribution et de conseils aux clients privés. Si on le fait de la bonne manière, les volumes pourront augmenter. En Suisse, on observe de grandes différences de traitement. La réglementation des produits se montre très stricte, alors que les gestionnaires indépendants ne sont pas surveillés. Il n’y a pas de nécessité d’augmenter la réglementation mais de combler certaines lacunes et de réduire le poids sur les domaines déjà très encadrés.
L’industrie veut voir la place se développer vers la gestion d’actifs. Qu’en pensez-vous?
Nous soutenons cette initiative, que nous jugeons très importante. Notre spécialisation de gérants d’actifs est moins bien connue que dans certains pays anglo-saxons, car, en Suisse, elle est souvent intégrée dans les banques universelles. Nous sommes convaincus qu’avec plus de gestionnaires d’actifs, davantage de concurrence, cela augmentera la qualité.