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Credit Suisse n’est pas UBS de 2008

Les problèmes de la banque d’Alfred Escher ne sont pas les mêmes que ceux de sa grande rivale à la sortie de la crise financière. Sa rentabilité est mise en doute, mais pas sa solvabilité. Pour le moment

Axel Lehmann, président de Credit Suisse, dans un message vidéo aux actionnaires le 23 novembre. — © MICHAEL BUHOLZER / keystone-sda.ch
Axel Lehmann, président de Credit Suisse, dans un message vidéo aux actionnaires le 23 novembre. — © MICHAEL BUHOLZER / keystone-sda.ch

Mercredi, Credit Suisse franchissait une étape essentielle. La banque obtenait l’accord de ses actionnaires pour procéder à une augmentation de capital qui doit permettre de financer sa restructuration massive annoncée fin octobre. Pourtant, une nouvelle perte attendue pour le trimestre en cours, pouvant atteindre jusqu’à 1,5 milliard de francs, et des détails sur l’exode en cours des clients, a soulevé de nouvelles inquiétudes.

Credit Suisse a perdu 10% de ses actifs dans la gestion de fortune, soit 63 milliards, entre la fin du troisième trimestre et le 11 novembre. Le montant total est de 86 milliards pour l’ensemble du groupe, soit 6% des actifs. Des chiffres qui rivalisent avec ceux d’UBS lors de la crise de 2008, mais à un rythme plus rapide.

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Peut-on parler de panique bancaire, où les retraits simultanés de nombreux clients plongent un établissement dans un tourbillon fatal? Les experts tempèrent. D’abord, l’immense majorité des clients sont toujours là et les retraits semblent avoir fortement diminué, souligne Dusan Isakov, professeur de finance à l’Université de Fribourg. Ensuite, on ne sait pas exactement ce que représentent ces retraits: il peut s’agir d’actifs placés à la bourse qu’il suffit de vendre, sans que Credit Suisse ne doive toucher à ses réserves.

Une «honte»

Les paniques bancaires se produisent plutôt dans les banques de détail, lorsque les clients retirent leur argent, parce que les dépôts financent des prêts à long terme, rappelle Carlo Lombardini, avocat et professeur à l’Université de Lausanne. Or, les clients de l’entité suisse de Credit Suisse semblent être restés beaucoup plus fidèles que ceux de la division de gestion de fortune.

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Cet exode aurait néanmoins pu mettre en danger la banque, s’il n’y avait pas eu le renflouement saoudien, avançait le Tages-Anzeiger, dans un commentaire publié après l’assemblée générale, s’insurgeant contre l’inaction de la Suisse face à la déroute de sa deuxième banque. Devoir compter sur l’argent du Golfe pour assurer sa survie est une «honte», estime le quotidien zurichois. Pour qui, sans l’augmentation de capital, la banque, et donc la place financière, aurait pu se retrouver dans un tourbillon infernal pire que celui de 2009.

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Pourtant, la situation n’est pas si catastrophique, estiment les experts. Et loin de celle d’UBS en 2008, où la Confédération et la Banque nationale suisse (BNS) avaient dû se porter à son secours. Jean-Pierre Danthine, professeur et directeur du centre Enterprise for Society (E4S), estime ainsi que les craintes de faillite sont «exagérées». Il souligne les efforts faits depuis la crise financière de 2008: «Nous n’avons cessé de demander aux grandes banques de renforcer leurs fonds propres. De leur côté, elles n’ont cessé de lutter contre ces exigences mais on voit bien aujourd’hui à quel point elles sont importantes. Credit Suisse serait dans une position bien plus grave si la réglementation n’avait pas changé», souligne l’ancien numéro deux de la BNS. Il rappelle d’ailleurs un épisode de 2012, où l’institution avait demandé à Credit Suisse de renforcer son capital dans les six mois. A la suite de ce coup de tonnerre, l’action avait plongé mais la banque avait rapidement obtempéré et le cours s’était stabilisé.

Doute sur la rentabilité

Carlo Lombardini voit moins un risque de faillite que des doutes sur la rentabilité et la viabilité commerciale. «Plus les clients partent, moins la banque génère de revenu. La réduction des coûts en cours peut alors s’avérer insuffisante», explique-t-il. Fin octobre, Credit Suisse a annoncé une vaste restructuration, qui implique un redimensionnement de la banque d’affaires et une réduction des effectifs. Or le contexte économique et financier tendu n’aide pas à ce redressement. Si Carlo Lombardini ne voit pas de danger immédiat, les prochains mois seront décisifs pour regagner la confiance: «La banque ne peut pas se permettre une nouvelle grosse perte inattendue.»

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Et si la situation venait à se corser? Les grandes banques ont dû soumettre à la Finma, le gendarme suisse des marchés financiers, un plan en cas de crise. Il leur permet de continuer «sans interruption ses fonctions d’importance systémique pour la Suisse (comme l’accès aux dépôts bancaires et le trafic des paiements)». L’idée est de s’assurer que les établissements peuvent gérer une crise sans sauvetage étatique et sans ébranler le système, y compris si cela implique une faillite.

Démembrement?

En cas de problème plus grave, Dusan Isakov imagine néanmoins mal que le pays laisse s’effondrer sa deuxième banque. Carlo Lombardini esquisse d’autres scénarios: «Au vu de la taille de la Suisse, avoir deux grandes banques ne se justifie pas forcément. Et on peut imaginer un démembrement ordonné ou des ventes de certaines divisions sans que cela soit une catastrophe pour l’économie helvétique.»

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Il est donc difficile de comparer Credit Suisse aujourd’hui à UBS en 2008. C’est la conclusion de nos trois interlocuteurs. La plus grande banque suisse devait se débarrasser d’actifs toxiques, mais la gestion de fortune se portait bien. «Credit Suisse doit se débarrasser de pratiques toxiques dans la banque d’investissement et il s’agit d’un cas de mauvaise gestion d’entreprise. C’est très différent d’UBS qui, comme tout le monde, avait acheté des subprimes et se retrouvait pris au piège», avance Dusan Isakov. Le problème à résoudre est donc plus complexe pour Credit Suisse, mais sa survie n’est pas en danger de façon imminente.