John Cryan n’est que depuis 100 jours à la tête de la première banque d’Allemagne. «Mais visiblement il n’a pas l’intention de s’y faire des amis», prévient le magazine Der Spiegel. Dès sa présentation aux 100000 salariés du groupe, le Britannique – ancien de la banque UBS qu’il avait contribué à redresser après la crise financière au prix de coupes sévères dans les dépenses – avait annoncé «des changements lourds de conséquences». Mercredi soir, il a dressé par écrit un bilan sans concessions de la situation dans laquelle se trouve la première banque allemande, qui a terminé le troisième trimestre sur 6,5 milliards d’euros (7,09 milliards de francs) de pertes avant impôts.

Le nouveau patron arrive à ces chiffres après la prise en compte de 1,2 milliard d’euros qu’il va provisionner pour faire face à d’éventuels litiges comme l’affaire des manipulations du marché des changes ou des transactions en Iran. Deutsche Bank est déjà impliqué dans de nombreux litiges, notamment aux Etats-Unis. Surtout, John Cryan a fait réestimer la valeur des avoirs de Deutsche Bank qui pour beaucoup se sont avérés ne pas correspondre à la valeur inscrite au bilan: la filiale Postbank est concernée par ces dépréciations d’actifs d’une valeur totale de 5,8 milliards d’euros, mais aussi l’institut américain Bankers Trust, base de l’activité banque d’affaires du groupe, et rachetée en 1999. Ces dépréciations d’actifs sont «clairement une surprise négative», estime Philipp Hässler, analyste chez Equinet. Avec ces dépréciations, John Cryan s’attaque directement au bilan de ses prédécesseurs Rolf Breuer, qui avait racheté Bankers Trust en 1999 mais aussi Josef Ackermann et Anshu Jain qui a dû quitter le groupe en juin dernier, après avoir échoué à redresser la barre aux côtés de son copilote Jürgen Fitschen. «Cela montre que beaucoup de ce qui a été acheté à prix d’or dans le passé n’a au final aucune valeur, estime Dieter Hein, analyste chez Fairesearch. C’est toute la stratégie 2015 + initiée en 2012 par Jain et Fitschen qui a échoué. A l’époque, on visait un taux de rendement de 12%, ce qui correspondait à un bénéfice de 8 à 9 milliards d’euros. Au final on a 4, 6 ou peut-être 8 milliards d’euros de pertes.»

Du coup, pour la première fois de son histoire depuis la seconde guerre mondiale, Deutsche Bank ne versera sans doute pas de dividende à ses actionnaires. Même au plus fort de la crise financière de 2008-2009, le groupe allemand n’avait pas renoncé à rémunérer ses actionnaires. Quant aux salariés, ils devront se contenter de bonus réduits. «Les décisions n’ont pas encore été prises», écrit John Cryan dans un mail interne destiné aux salariés. Mais «les actionnaires attendent à raison que les salariés paient une partie» de la facture. Les représentants du personnel s’attendent en outre à la suppression de milliers d’emplois. Mi-septembre, l’agence Bloomberg avait révélé qu’un projet de suppression de 23.000 emplois – un quart des effectifs – était envisagé.

John Cryan devrait présenter les détails de son plan de restructuration le 29 octobre. Celui-ci devrait passer par la vente – sans doute à perte – de la filiale Postbank (achetée à prix d’or, pour 6 milliards d’euros, par l’ancien patron Josef Ackermann entre 2008 et 2010), d’une grande partie de l’activité en Russie, visée par des soupçons de blanchiment, et de la participation de 20% à la banque chinoise Hua Xia, considérée désormais comme «non stratégique». En Inde, le maintien de 17 succursales de détails est en question selon la presse allemande.

C’est donc à une thérapie de choc que se préparent les salariés de Deutsche Bank, alors que l’institut semble toujours dépourvu d’une ligne claire, tiraillée entre banque d’investissement et banque de particuliers, entre son implantation en Allemagne et son ambition de rivaliser avec les grandes banques anglo-saxonnes. Lors de la présentation des résultats trimestriels fin octobre, John Cryan devrait présenter davantage de détails sur son plan stratégique à l’horizon 2020.