La saga bancaire «La France contre UBS» va virer, cette semaine, à l'affrontement public sans merci. C'est lundi, à 13h30, que s'ouvre devant la 32ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris le procès-fleuve de la banque helvétique et de sa filiale française (plus six autres prévenus dont d'anciens dirigeants d'UBS) pour «démarche bancaire illicite», «blanchiment de fraude fiscale» et «complicité de blanchiment de fraude fiscale». Un affrontement judiciaire redoutable, qui s'étalera sur cinq semaines, jusqu'au 15 novembre, à raison de trois audiences hebdomadaires en moyenne.

L'acte d'accusation, fort de plus de 300 pages détaillées, est considéré par les experts de ces sujets comme un document «sans précédent» en termes de documentation, de lieux, de faits, de précisions apportés sur les activités d'UBS en France entre 2004 et 2012. La banque, présumée innocente, continue d'affirmer qu'elle n'a rien à se reprocher et qu'aucune des activités culturelles ou sportives somptueuses sponsorisées à l'époque par ses soins dans l'hexagone ne visait à recruter des clients français pour les aider à frauder le fisc.

Mobilisation autour du procès

Après un refus initial de plusieurs de ses avocats de rencontrer Le Temps, UBS s'est contentée de nous adresser une déclaration écrite en français, anglais et allemand: «Au terme d’une procédure judiciaire qui a duré plus de six ans, UBS aura enfin la possibilité de répondre aux allégations souvent infondées et fréquemment diffusées sous la forme de fuites dans les médias, en violation manifeste de la présomption d’innocence et du secret de l'instruction. La banque entend défendre fermement sa position. Toutefois, respectueuse de l’institution judiciaire française, elle réserve la primauté de ses arguments aux magistrats du Tribunal de grande instance de Paris et ne s'exprimera donc pas avant le début du procès».

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Sans surprise, ce procès unique en son genre provoque aussi une mobilisation de toutes les personnalités et associations ayant combattu, depuis des décennies, l'évasion fiscale de la France vers la Suisse. Parmi eux figurent le «lanceur d'alerte» Nicolas Forissier, ancien cadre d'UBS France de 2003 à 2009 chargé de l'audit interne, que Le Temps a longuement rencontré.

Licencié par l'établissement pour faute grave, toujours en lutte avec son ancien employeur devant le tribunal des prudhommes, Nicolas Forissier nous a affirmé attendre de ce procès une «réhabilitation professionnelle». «Ce dossier UBS a brisé ma carrière. Je ne voulais pas devenir lanceur d'alerte. Ils m'ont marché sur la tête. Ils m'ont humilié», explique cet ancien responsable, auditionné pendant des dizaines d'heures par les enquêteurs et les juges d'instruction.

Bombe financière

L'intéressé s'est dit, lors de notre entretien «prêt à témoigner au procès» (l'accusation juge qu'il a déjà tout dit et la défense d'UBS ne l'a pour l'heure pas cité pour un contre-interrogatoire). L'un de ses arguments massue est le fait qu'UBS a bel et bien failli signer une transaction avec la justice française en vue d'une «Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité». Transaction avortée du fait de l'amende exigée d'au moins 1,1 milliard d'euros (1,2 milliard de francs), le montant de la caution payée par UBS en 2014.

«Comment UBS peut prétendre aujourd'hui son innocence alors que ses avocats ont tout fait pour obtenir une transaction? C'est indécent. C'est une logique mafieuse», affirme  Nicolas Forissier, dont l'avocat William Bourdon a obtenu en 2017 la mise en examen d'UBS pour «subornation de témoin», ce qui pourrait conduire à un second procès.

L'acte d'accusation confirme que le montant des avoirs qu'UBS est soupçonné d'avoir aidé à transférer en Suisse est supérieur à 10 milliards d'euros pour la période 20014-2012. Si les magistrats donnent raison au Parquet National Financier (PNF), la banque helvétique pourrait devoir acquitter une amende record équivalente allant jusqu'à 50% de cette somme. Soit une bombe financière. 

Bradley Birkenfeld, le retour

Un autre personnage fatal à UBS entend profiter du procès pour livrer une charge sans merci contre la banque pour laquelle il travailla jusqu'en 2007: l'un de ses anciens directeur «Key Clients» Bradley Birkenfeld. Incarcéré par la justice des Etats-Unis entre 2010 et 2012 pour avoir aidé de riches américains à frauder le fisc, ce «repenti de la finance» est depuis plusieurs jours à Paris pour présenter son livre «Le banquier de Lucifer» (Ed Max Milo) dans lequel il détaille par le menu ce qu'il faisait pour UBS, entre l'Amérique, Zurich et Genève.

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Dans un tout autre style que Nicolas Forissier, ce lanceur d'alerte récompensé par la justice américaine d'un chèque de 104 millions de dollars a mobilisé toute la presse parisienne ce samedi pour un déjeuner au pavillon Ledoyen, prés des Champs Elysées.

Il sera lundi à l'ouverture du procès et promet de «taper fort, très fort» sur son ancien employeur dont il dénonce à chaque entretien la déloyauté envers ses employés et ses anciens cadres mis en difficulté par la traque internationale à la fraude fiscale: «UBS s'est comporté comme un alcoolique qui nie continuer de boire. La banque nous a lâchés, broyés, menacés. Les contribuables suisses, les actionnaires, tout le monde a payé trop cher cette folie. Il faut que ce procès français, le seul à ce jour, soit exemplaire. UBS doit perdre, à terme, sa licence bancaire en France».

Bradley Birkenfeld, en bon repenti, fait désormais feu de tout bois après avoir longtemps profité des mannes de l'établissement helvétique. «Ce que nous faisions était légal en Suisse, mais illégal ailleurs. Or la banque nous envoyait parcourir le monde pour trouver des clients. Puis elle nous a lâché, comme nos clients. Il y avait 19 000 clients et 20 milliards de dépots pour le seul desk américain d'UBS à mon époque». Pour rappel, UBS a échappé à un procès aux Etats-Unis en payant en août 2009 une amende de 780 millions de dollars et en donnant les noms de 4450 clients américains. La première grande entorse au secret bancaire helvétique. 

Recours français au Tribunal fédéral

Des noms justement! C'est ce que veulent obtenir des parlementaires français, furieux de la décision du Tribunal Administratif Fédéral (TAF) prise le 31 juillet de bloquer la remise au fisc français - dans le cadre d'une demande d'entraide  - par le fisc suisse de dizaines de milliers de noms de comptes non déclarés ayant été détenus par des ressortissants français et révélée, entre autres, à la suite d'une perquisition de la police allemande dans les locaux d'UBS en Allemagne en 2016.

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Dans une lettre adressée au ministre français du budget, que Le Temps a obtenue, le chef de file de ces parlementaires, le Sénateur communiste du Nord Eric Bocquet exige que la France fasse appel de cette décision. «Je me permets de rappeler que le contentieux porte sur quelque 38 000 comptes bancaires ouverts au sein de la banque suisse entre 2006 et 2008. Rappelons aussi que la banque UBS et sa filiale française ont été renvoyées en correctionnelle (...) Les conséquences concrètes de ce «blocage» judiciaire sont que le fisc français ne peut toujours pas exploiter la liste UBS des comptes non déclarés et que le délai de prescription continue de courir», affirme l'élu.

Les parlementaires ont promis de relancer solennellement leur demande d'appel lors du procès UBS. Pour mémoire, le fisc fédéral suisse a lui aussi fait appel de la décision du TAF comme l'expliquait Le Temps le 10 aout. En déposant ce recours, le fisc fédéral expliquait vouloir obtenir «une sécurité juridique pour ce type d’assistance administrative par le biais d’un jugement définitif de la Cour suprême», dans un e-mail envoyé au Temps et à d’autres médias.

L'article du Temps poursuivait: «Depuis la fin du secret bancaire, l’administration fiscale fédérale est en effet prise entre deux feux. D’un côté, la place financière l’accuse de transmettre trop facilement des données bancaires à l’étranger. De l’autre, les pays étrangers la mettent sous pression pour obtenir des renseignements sur les agissements frauduleux de leurs contribuables avant 2017, date d'entrée en vigueur de l'échange automatique d'informations bancaires pour les non-résidents».

La mobilisation tous azimuts le confirme: à partir de ce lundi, dans les étages du tout nouveau palais de justice de Paris, UBS - dont la filiale Française UBS France, toujours en activité, affiche 17 milliards d'euros d'actifs sous gestion, preuve de sa bonne santé financière - affrontera l'une des plus graves épreuves publiques de son histoire.