«Credit Suisse AG plaide coupable, votre honneur», a déclaré Alan Reifenberg, l’un des directeurs de la banque, à la juge Rebecca Smith devant un cour de district d’Alexandria près de Washington. Elle échappe ainsi à un procès. Elle a aussi accepté de payer une amende de 2,6 milliards de dollars, dont 1,8 milliard pour le Département américain de la justice (DoJ) et 670 millions pour l’Internal Revenue Service (IRS, le fisc américain), 100 millions pour la Réserve fédérale et 670 millions au régulateur de l’Etat de New York, le Département des services financiers. En comparaison, UBS avait dû s’acquitter d’une amende de 780 millions de dollars et avait livré 4700 noms de titulaires américains de comptes en Suisse.

Les autorités américaines accusent la banque helvétique d’aide à l’évasion fiscale et d’avoir incité des contribuables américains à échapper au fisc (IRS) en ouvrant des comptes secrets en Suisse. En conférence de presse lundi soir au DoJ, le vice-ministre de la Justice James Cole n’a pas eu peur des superlatifs pour qualifier le plaider coupable de la seconde plus grande banque suisse: «C’est historique. C’est la plus forte amende jamais infligée dans le cadre d’une affaire fiscale à caractère pénal.» Il l’a aussi admis: ce qui s’est passé lundi devant la cour d’Alexandria «aura de sérieuses conséquences sur l’institution financière» suisse, entendant par là que la sanction est suffisamment sévère pour dissuader Credit Suisse de poursuivre des activités illicites en lien avec les Etats-Unis. En réponse à une question sur l’impact d’un tel accord sur la capacité de CS de poursuivre ses activités, le ministre de la Justice Eric Holder l’a admis: l’aveu de culpabilité va causer à l’établissement suisse des «dégâts en termes de réputation». Ce d’autant que l’amende est «substantielle».

Directeur général de Credit Suisse, Brady Dougan s’est appliqué à rassurer à l’issue de ce verdict: «Le fait d’avoir complètement résolu cette affaire constitue un important pas en avant pour nous. Nous n’avons constaté aucun impact matériel sur la marche de nos affaires en raison de l’attention accrue du public sur ce différend au cours des dernières semaines. (...) Nous pouvons désormais nous focaliser sur l’avenir et nous consacrer pleinement à mettre en oeuvre notre stratégie.» Dans un communiqué diffusé hier soir, CS dit ne pas craindre un retrait de sa licence bancaire aux Etats-Unis et affirme avoir les reins suffisamment solides pour répondre aux critères de Bâle III en termes de capitalisation.

Le Conseil fédéral a promptement réagi à la décision des autorités américaines: «Credit Suisse peut ainsi mettre un terme au différend juridique qui oppose les deux parties depuis plusieurs années. Il importe en particulier de souligner que la solution trouvée n’entraîne pas le retrait de la licence de la banque et que le recours au droit d’urgence est exclu. (...) La transmission de noms de clients s’effectuera dans le cadre de la procédure d’assistance administrative ordinaire. Celle-ci permettra également des demandes groupées en cas de soustraction d’impôt, dès l’entrée en vigueur du protocole d’amendement qui a été approuvé par la Suisse en 2012, mais pas encore par le Sénat américain.»

La décision des procureurs américains marquent un tournant. Ceux-ci n’ont plus peur qu’une banque soit trop grande pour être inculpée («too big to jail»). C’est la première fois depuis que Drexel Burnham Lambert, une banque d’affaires de Wall Street, plaida coupable en 1989 qu’un établissement financier est acculé à reconnaître ses torts ainsi.

La dureté de la décision de Washington est justifiée, dans la presse américaine, par le manque de coopération dont aurait fait preuve CS. Le vice-ministre de la Justice s’en est fait l’écho: la sévérité des sanctions s’explique, selon lui, par la nature des comportements fautifs de CS, par leur durée, mais aussi par l’attitude que la banque a eue après coup: «Elle a poursuivi ses affaires, a détruit des documents et n’a pas bien coopéré.» James Cole admet qu’avec l’accord trouvé avec Credit Suisse, les autorités américaines vont désormais être capables de recevoir «énormément d’informations», notamment par le biais de l’assistance administrative. «Ces informations nous permettront de trouver à qui appartiennent les comptes» secrets détenus en Suisse par des contribuables américains. James Cole n’a pas manqué, à l’issue de la conférence de presse, de remercier le «gouvernement suisse pour ses efforts» visant à régler le différend fiscal. Celui-ci arrive peut-être à terme avec CS, mais treize banques suisses sont toujours sous enquête du DoJ et 106 banques participent au programme de régularisation approuvé par la Confédération et les Etats-Unis en août 2013.

Le patron du DoJ s’est par ailleurs inscrit en faux contre l’impression que les Etats-Unis mèneraient une croisade contre la place financière helvétique: «Les institutions ne sont pas traitées différemment en fonction de leur nationalité.» Si des établissements américains agissent de façon aussi fautive, elles seront également sanctionnées, a tenu à souligner Eric Holder. D’autres banques caribéennes, israéliennes, luxembourgeoises et autres pourraient également connaître des démêlés avec la Justice américaine. Des banques américaines telles que JPMorgan Chase et Citigroup, qui sont toutes deux sous enquêtes, pourraient aussi être concernées par ce changement de cap du DoJ.

Quant aux dirigeants de Credit Suisse, dont le directeur général Brady Dougan, 54 ans, et le président Urs Rohner, ils sont sous une pression accrue en Suisse. Le Parti socialiste et l’ex-conseiller fédéral Christoph Blocher ont exigé la démission de Dougan. Selon nos informations toutefois, la démission des dirigeants de CS ne serait pas à l’ordre du jour. Interrogé sur le sujet, James Cole s’est contenté de déclarer que ce type de décisions incombait au régulateur et aux actionnaires.