Il y a vingt ans, la jeunesse déterminée à changer le monde s’engageait dans l’humanitaire. Aujourd’hui, l’appel vient de la finance. Le raccourci est un peu cavalier. Il traduit bien la vision que porte Fabio Sofia à la présidence de Sustainable Finance Geneva (SFG): le domaine de la finance durable prend, à Genève, des proportions planétaires. Cette semaine a lieu un sommet qui rendra cette architecture invisible très concrète.

Il réunit les acteurs de la Genève internationale qui adhèrent aux objectifs de développement durable de l’ONU, ceux de la banque ainsi que les autorités suisses, tous échelons confondus, jusqu’à la présidence. La question qui sous-tendra les cinq jours de débats, Fabio Sofia la résume ainsi: «Comment transformer un projet de développement en un investissement? Pour y répondre, un grand nombre d’expertises différentes est nécessaire. Or, elles sont toutes implantées à Genève.» Objectif du sommet: faire de la place genevoise un moteur mondial de cette finance qui fait le bien.

En tant que président de SFG, Fabio Sofia est l’un des organisateurs en chef de l’événement. «J’ai pu constater sur le terrain, raconte-t-il, comment la transformation d’un téléphone portable en un porte-monnaie électronique peut radicalement changer la vie des gens. L’investissement d’impact et les fintechs sont le cocktail de l’avenir.»

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Le terrain auquel fait référence ce Genevois, qui aura 43 ans cette semaine, c’est l’Amérique latine, qu’il a parcourue il y a quinze ans pour Symbiotics, aujourd’hui un des leaders mondiaux de la microfinance. «Je suis allé comprendre, reprend-il, quels étaient les besoins sur place. Je voyais des responsables de PME, des agriculteurs, des entrepreneurs, souvent des femmes, auxquels nos partenaires, des banques locales, prêtaient de l’argent. J’allais ensuite vérifier comment il était dépensé.» Une connaissance acquise bottes aux pieds, en Afrique et en Asie également.

Avec les trois fondateurs de la société, «nous faisions les choses avec conviction», se rappelle-t-il. «Nous étions actifs dans la finance tout en intégrant des valeurs et des principes de gouvernance louables. Nous adoptions, avec quinze ans d’avance, des idées portées ensuite par l’initiative Minder ou des labels de bonne gouvernance comme B Corp.» Depuis, cette «vision genevoise» a essaimé pour gagner des places comme Zurich et Amsterdam. «Genève a des visionnaires. Ici sont implantées des institutions qui peuvent rendre ces intuitions pérennes, développer des activités autour de la durabilité et créer des places de travail.»

Beaucoup de gens s’interrogent sur le but de ce qu’ils entreprennent. Nous avons atteint un tel degré de satisfaction de nos désirs dans tant de domaines qu’il est devenu fondamental de trouver une réponse à cette question.

Rallier les bonnes volontés, les convaincre d’agir pour construire un système efficace: faites parler Fabio Sofia et ce schéma reviendra en boucle dans son discours. Des qualités fédérales animent ce père de famille. Une méprise est pourtant possible au premier abord. Un patronyme qui fleure le sud et les pleins citrons de la Sicile. Un physique de latin lover, travaillé par des heures entières à glisser avec élégance sur la terre battue d’un court de tennis, sport dans lequel il excelle, dit-on. Une approche décontractée et pourtant un brin retenue. «C’est que je suis presque à 50% Alémanique, ce que l’on ne soupçonne pas, sourit-il. J’ai travaillé à Berne, au sein du Département des affaires étrangères. C’est là que j’ai compris ce qu’il faut d’efforts pour mettre les gens autour d’une table.»

Cette diplomatie lui a été utile au moment de faire évoluer SFG d’une «réunion d’experts» en une association de 500 membres, chargée d’une conférence internationale. En tant que président, il a notamment fait entrer au comité l’ancien ministre genevois des Finances vert David Hiler («un mentor»), de même que Rajna Gibson, professeure à l’Université de Genève, et Fiona Frick, CEO du groupe Unigestion. Cette aptitude à rassembler lui a également servi lorsque, en début d’année, au moment de concrétiser l’idée d’un sommet, il a réuni notamment Michael Møller, alors directeur de l’Office des Nations unies, le banquier Patrick Odier («il m’a ouvert son carnet d’adresses et a convaincu les récalcitrants») ou encore Sandrine Salerno, la maire de Genève.

Son tropisme helvétique lui vient de sa mère, issue de «la belle société bâloise», fille d’un dirigeant de la Coop qui a régné en champion sur le tennis national. Fabio Sofia pense toutefois que son père n’y est pas pour rien. Fils d’immigrés siciliens, frigoriste à la Migros, ce père de trois garçons «est un pur produit de l’intégration à la genevoise. Il est devenu plus Suisse que Suisse.» Au point qu’il restait muet sur ses racines italiennes. Fabio Sofia s’est résolu à entreprendre lui-même ce voyage des origines, du côté de Messine, durant un congé sabbatique de six mois, le temps de pratiquer également le kitesurf dans le Sahara occidental et de traverser avec deux amis la Haute Route impériale, dans le val d’Anniviers, à skis de randonnée, 7000 mètres de dénivelés.

«Beaucoup de gens s’interrogent sur le but de ce qu’ils entreprennent, souligne Fabio Sofia. Nous avons atteint un tel degré de satisfaction de nos désirs dans tant de domaines qu’il est devenu fondamental de trouver une réponse à cette question.» La sienne, quelle est-elle? «J’ai envie de raconter une histoire que j’aime à mes enfants et à mon entourage.» Un récit où la finance peut répondre aux besoins durables d’une planète à la peine.


Profil

1976 Naissance à Genève.

2004 Premier voyage au Pérou pour Symbiotics.

2005 Naissance du premier de ses trois enfants.

2016 Présidence de Sustainable Finance Geneva.

2019 Quitte Wecan, société de conseil dans la blockchain, pour Asteria Investment Managers, filiale du groupe Reyl.

2019 Semaine mondiale de la finance durable (Building Bridges Week), du 7 au 11 octobre à Genève.