L’invité

Un fonds souverain en Suisse? Mauvaise idée

La Banque nationale suisse (BNS) a supprimé le taux plancher de l’euro le 15 janvier dernier. Elle n’interviendra plus systématiquement sur les marchés comme elle le faisait depuis 2011. Fin février dernier, ses réserves de change étaient constituées de 509 milliards de francs en devises et 39 milliards de francs en or. Elle figure ainsi parmi les banques centrales les mieux dotées au monde en regard de la taille de notre pays.

Face à tant de réserves, dont le public ne voit pas la raison d’être, l’idée est souvent évoquée de créer un fonds souverain à l’image de ce qu’a fait la Norvège. Ainsi, les réserves de change ne seraient plus investies largement en obligations d’Etat, comme c’est le cas aujourd’hui, mais prendraient la forme de prises de participation dans des entreprises internationales d’importance stratégique pour notre pays.

Cette «bonne idée» n’en est pas une, pour trois raisons.

Il faut tout d’abord réaliser que le portefeuille de la BNS n’a pas été alimenté par une véritable épargne mais acquis par la planche à billets (les francs créés par la BNS pour acheter des euros). En effet, contrairement au cas norvégien, dont le fonds souverain représente un patrimoine durable bénéficiant des surplus budgétaires issus de la vente de pétrole, le portefeuille de la BNS est un patrimoine artificiel résultant de la politique de changes menée par la banque ces dernières années. Cette politique a conduit à une création importante de liquidité, certes nécessaire dans les circonstances du moment, mais qui devra être corrigée lorsque la banque décidera de «normaliser» le cours de son action. Il sera alors souhaitable que son bilan retrouve une taille normale et que son profil de risque soit abaissé. Pour atteindre ce double objectif, la BNS devra disposer – entre autres – de l’instrument de la vente de devises. Il convient donc que son portefeuille de devises demeure aisément mobilisable, ce qui ne serait évidemment pas le cas si les réserves de change étaient investies en participations dans des entreprises à l’étranger.

La seconde raison est accessoire et de nature politique. En mettant en place le taux plancher, la BNS voulait bloquer l’appréciation du franc. Elle dérogeait ainsi à la règle de flexibilité du cours des devises convertibles adoptée par le FMI. Son action avait été tolérée par ses partenaires en raison de la position délicate du franc au cœur de la crise financière européenne. C’est donc au bénéfice de cette dérogation que la Banque nationale a accumulé d’importantes réserves de change. Si elle utilisait maintenant le produit de ses interventions pour mettre la main sur les «bijoux de famille» des pays voisins, elle provoquerait certainement une forte réaction négative de leur part. Sa position dans la coopération monétaire internationale s’en trouverait compromise.

En troisième lieu se pose une question d’équité. Si la Suisse, au travers d’un fonds souverain, devait participer au capital d’entreprises étrangères, notre économie ne serait-elle pas en droit d’en réclamer autant? Souvent même les investissements faits à l’étranger le seraient dans des entreprises directement ou indirectement concurrentes des nôtres (chimie, électronique, machines). A coup sûr, le débat sera animé de savoir si la politique du fonds est appropriée du point de vue des intérêts généraux de notre pays.

Faire de la BNS un fonds souverain n’est vraiment pas une «bonne idée»!

* Président de la BCGE et ex-président de la BNS