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Le risque de perte est extrême si un changement fondamental de la tendance des taux se confirme

Faut-il vendre toutes ses obligations en portefeuille?
Vos finances Le risque de perte est extrême si un changement fondamental de la tendance des taux s’est enclenché
Tout le monde se demande si la baisse des obligations sera durable. Si tel devait être le cas, pourquoi conserver des obligations en portefeuille?
«Il ne faut plus avoir du tout d’obligations souveraines dans le portefeuille», explique Pierre Leconte, gérant de fortune indépendant et président du Forum monétaire de Genève. Le gérant est d’avis que la tendance à la hausse des taux longs est dorénavant fondamentale et que les pertes en capital des obligations souveraines allemandes et américaines pourraient atteindre 50%. En effet, la hausse des taux d’intérêt à long terme devrait, à son avis, les ramener à leur niveau du début de l’année 2014. Il partage ainsi la thèse d’un virage majeur que prévoient deux des meilleurs analystes du marché obligataire, Janus, avec sa nouvelle star Bill Gross, et Steen Jakobsen de SaxoBank. «Les rendements obligataires à 10 ans devraient bondir à 3% aux Etats-Unis et à 1,45% en Allemagne», prévoit-il. L’argumentation est limpide: «Le marché a reconnu que les taux zéro étaient une aberration économique. Seule l’interdiction du cash permettrait aux gouvernements de contrôler l’argent de façon à avoir des taux nuls», déclare le gérant et essayiste.
Des voix discordantes émergent. La progression des rendements prendra plus de temps que ne l’anticipent actuellement les investisseurs obligataires, y compris les plus brillants d’entre eux, selon Bruno Jacquier, chef économiste auprès du groupe Edmond de Rothschild. Plusieurs éléments plaident, à son avis, pour des taux d’intérêt structurellement faibles: la création monétaire importante, l’épargne mondiale en excès, le potentiel de croissance économique inférieur aux décennies précédentes, la progression timorée de l’inflation ou la montée de l’aversion au risque.
Les attentes des grandes banques vont dans le sens d’une hausse des taux à long terme. Olivier P. Müller, stratégiste à Credit Suisse, prévoit des taux à 10 ans dans 12 mois à 0,9% pour les obligations souveraines allemandes (0,3% actuellement), 2,8% pour les américaines (1,9%) et 0,4% pour les bons de la Confédération (-0,2%).
Pour les rendements obligataires, le changement de tendance est fondamental, alors que les taux courts devraient rester bas, confirme Veronica Weisser, UBS Chief Investment Office Wealth Management UBS. Elle prévoit un rendement de 1,3% en Allemagne, 2,7% aux Etats-Unis et 0,5% en Suisse.
Selon Pictet Wealth Management, sur une longue période on observe que la croissance nominale du PIB détermine la tendance et le niveau des taux d’intérêt à long terme américains et allemands. Depuis 2013, ce facteur directeur est supplanté par l’inflation et la politique monétaire de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne, affirme Christophe Donay,responsable de l’allocation d’actifs auprès de Pictet Wealth Management. La hausse récente des taux d’intérêt s’explique par une normalisation progressive du taux d’inflation et par la fin de la politique de taux d’intérêt zéro annoncée par la Fed. Le risque de désinflation s’éloigne. Il ne s’agit donc pas, selon Christophe Donay, d’un changement de facteurs directeurs mais de leur tendance, un changement de tendance durable supposant une normalisation du niveau du taux d’intérêt d’Etat américain à 10 ans au niveau de la croissance nominale, anticipée à environ 4,5%.
Les grandes banques passent à l’action. Veronica Weisser recommande de «réduire de façon substantielle l’allocation en obligations souveraines». Car le risque lié à ces titres est très élevé. Les obligations avaient coutume d’offrir un rendement sans risque. Aujourd’hui elles offrent un risque sans rendement, selon la stratégiste. «La sous-pondération maximale autorisée, définie par le budget de risque, est de l’ordre de 3-12%, selon le type de portefeuille. Donc si l’allocation est de 60% en actions et 40% en obligations, on peut réduire la partie en obligations à 37% ou même à 28%», explique la stratégiste d’UBS. «Mais nous proposons régulièrement d’aller au-delà, cela n’est toutefois possible qu’avec l’accord du client», déclare-t-elle.
«Nous recommandons de sous-pondérer les allocations à revenus fixes, donc de réduire les obligations, explique Olivier P. Müller, à Credit Suisse. Pour un client suisse au profil pondéré en francs suisses, nous recommandons actuellement une part de 28,5% d’obligations contre 32,5% en moyenne stratégique sur 5 à 7 ans.»
Bruno Jacquier, chef économiste auprès du groupe Edmond de Rothschild, demande de ne pas réduire trop fortement les obligations dans un portefeuille diversifié. Elles continuent d’avoir leur utilité, notamment en termes de diversification des risques. Toutefois, cet environnement de taux exceptionnellement bas doit nous encourager à opter pour d’autres sources de protection, selon la banque. Les stratégies de placement à 60/40 ou 70/30 ne sont, de loin, pas les plus efficaces. Les fonds alternatifs sont une source de diversification très utile, les actifs réels comme l’immobilier ou les matières premières, dont l’or fait partie, en sont une autre. Enfin, il est nécessaire de se souvenir qu’il existe de rares occasions où seul le cash est susceptible de préserver, à court terme, la valeur de nos actifs.
Lors des phases d’expansion économique, l’allocation 60/40 a défié la loi de la diversification, selon Pictet. Celle-ci voudrait que la performance des 60% investis en actions soit de signe opposé à la performance des 40% investis en obligations, en alternance avec les phases d’expansion et de contraction de l’activité. Actuellement, cette longue période prend fin. L’investisseur diversifié doit donc accepter que les obligations vont générer une performance négative lors des phases d’expansion. C’est, pour Pictet, le prix à payer pour une approche 60/40 qui demeure appropriée, car les obligations d’Etat conservent leur statut d’actif refuge en cas de choc.
Les pertes en capital des obligations souveraines américaines pourraient atteindre 50%