Se coordonner et en parler
Dans la réalité, «vendre une action cotée n’a pas d’incidence directe sur l’entreprise concernée; ses actions ne font que changer de mains, analyse Jean-Pierre Danthine, directeur général d’E4S et co-auteur avec Florence Hugard de l’étude. Pour qu’une pression s’exerce sur le cours d’une action, il faut que les ventes soient massives, soit parce que le vendeur est un géant de la finance, soit parce que plusieurs investisseurs ont formé une coalition.»
Autre nécessité, poursuit l’ancien vice-président de la Banque nationale: que les vendeurs fassent connaître publiquement leur intention de désinvestir et les raisons qui vont avec. L’entreprise ainsi stigmatisée aura plusieurs options possibles: admettre ses torts et s’engager à corriger ses pratiques; ou essayer d’améliorer son image (greenwashing), ou encore ne rien faire, détaille le white paper de l’E4S, qui s’appuie sur de nombreuses études académiques.
Si elle provoque une baisse des cours, l’exclusion peut même avoir des effets pervers, en rendant les actions concernées plus attractives pour des investisseurs qui ne prendraient pas en compte des considérations ESG (pour environnement, social et gouvernance).
Contre-productive
L’exclusion est également peu productive «car elle ne permet pas d’influencer la stratégie de l’entreprise, alors que des investisseurs, surtout s’ils sont importants ou membres d’une alliance, peuvent lancer un dialogue avec les dirigeants de la société concernée», reprend Jean-Pierre Danthine, également professeur à l’EPFL. Ce type de dialogue constitue une autre approche de la finance durable, appelée l’engagement, et dont l’effet réel est encore débattu. Cette stratégie fera l’objet d’une prochaine étude de l’E4S.
Exclure certains titres permet donc à un investisseur d’améliorer l’empreinte carbone de son portefeuille, mais n’a aucun effet sur l’activité des entreprises pollueuses. Moralité, «plutôt que de mesurer l’empreinte carbone d’un portefeuille, il est plus intéressant d’avoir une vision dynamique sur la stratégie de l’entreprise et son éventuelle compatibilité avec les objectifs de l’Accord de Paris», résume notre interlocuteur.
Prix à payer pour investir de manière éthique
Reste une dernière contradiction. Théoriquement, les entreprises mal-aimées par les investisseurs devraient offrir un rendement supérieur pour les attirer, car elles sont considérées comme plus risquées. Un portefeuille de titres «sales» devrait donc mieux performer qu’une sélection d’actions d’entreprises vertueuses. Or ça n’a pas été le cas ces dernières années, relève encore l’étude.
L’explication tient essentiellement à l’engouement pour l’investissement responsable, qui a porté les valorisations des titres considérés comme durables. Autre facteur mentionné, les valeurs exclues – par exemple les compagnies pétrolières – ont souvent été remplacées par des actions technologiques, qui ont connu des performances remarquables.
«L’engouement actuel pour le durable fausse la réalité et il pourrait durer, conclut Jean-Pierre Danthine. Mais à terme, il y aura vraisemblablement un prix à payer pour investir de manière éthique. Ce n’est pas une raison pour ne pas le faire. Mais il faut être conscient qu’il n’est pas toujours possible de do well while doing good [gagner de l’argent en faisant le bien, ndlr].»
Peu de levier sur les multinationales
Une stratégie d’investissement durable basée sur les exclusions peut être efficace si elle provoque un rationnement du capital pour les entreprises concernées. Cela peut être possible dans deux cas de figure, avance l’étude de E4S.
D’une part, lorsqu’une entreprise entre en bourse, sur ce que l’on appelle le marché primaire. Une société boycottée par les investisseurs lors de son IPO disposera de moins de capitaux pour fonctionner et se développer.
D’autre part, lorsqu’une société emprunte de l’argent, soit en émettant des obligations, soit via du crédit bancaire. Mais les entreprises jeunes, petites ou évoluant dans des environnements difficiles seront davantage affectées par de telles restrictions de capitaux que les multinationales, qui se financent souvent en interne ou disposent d’un important réservoir d’investisseurs potentiels, prévient encore l’étude d’E4S. S. RU.
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