La finance durable a résisté au Covid-19
Gestion
AbonnéLes placements qui respectent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont montré de meilleurs résultats durant la crise et pourraient donc continuer à attirer les investisseurs

L’investissement durable, gagnant de la crise? Les placements qui respectent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont longtemps été perçus comme un instrument destiné à se donner bonne conscience, avant de devenir un outil de gestion des risques. Ils deviennent désormais presque un produit de première nécessité pour l’investisseur. Vus simplement comme un «investissement durable», ils sont de plus en plus considérés comme une «création de valeur durable», souligne Thomas Trsan, spécialiste de l’ESG et de l’impact investing chez Vontobel.
Jusqu’ici, leur performance n’était en tout cas pas moins bonne, mais leur volatilité était inférieure. Désormais, ils se démarquent avec les rendements aussi. «Les indices ESG pour les actions internationales, qui doivent offrir une même performance en termes de risque et de rendement que les indices classiques, ont fait la même chose, voire les ont battus. C’est une bonne nouvelle, car il s’agissait de leur premier test grandeur nature», estime Jean Niklas, responsable des investissements en actions de la Banque cantonale vaudoise. L’intérêt pour ce type de placement va continuer: «Ce n’est plus un effet de mode, c’est une tendance lourde qui va continuer», assure-t-il.
L’exemple Unilever
Dans un premier temps, les investisseurs se sont massivement retirés des fonds de placement européens en mars. Les retraits atteignent 246 milliards d’euros en un mois, soit plus du double d’octobre 2008, au plus fort de la crise financière, selon Ali Masarwah et Valerio Baselli, analystes auprès de Morningstar. Mais le «comportement ESG» des sociétés a directement influencé la réaction boursière. Ce dernier peut être évalué, selon S&P Ratings, à l’aune de son degré de préparation à une pandémie, du respect de la santé et de la sécurité du personnel, y compris de ses mesures de distanciation sociale au travail, ainsi que dans sa façon de gérer ses effectifs face à la baisse des ventes, du risque de suppression de l’approvisionnement, de sa réputation, de ses relations avec les clients et de la transparence financière sur l’impact de la crise pour ses comptes.
A lire aussi: Après cette crise, «le monde sera différent», selon BlackRock
Unilever s’est révélé un modèle. Le groupe de consommation obtient de S&P une note durable record de 89 points (sur 100). Le groupe était très bien préparé et il a bien géré ses relations avec ses employés et ses clients. De plus, la société a effectué un don de 100 millions d’euros pour l’achat de savon, de désinfectant et de nourriture et a accordé 500 millions d’euros de report de paiement aux sous-traitants.
Meilleure résistance à la baisse
Avant le Covid-19, les études soulignaient déjà la capacité des placements ESG à résister aux marchés baissiers. Dan Lefkovitz, analyste auprès de la société de recherche en fonds de placement Morningstar, montrait en février que 72% des indices d’actions intégrant les critères ESG ont moins baissé que les autres pendant les corrections baissières des cinq dernières années. Dan Lefkovitz ajoute que «l’importance des facteurs ESG a été renforcée par la crise». Morningstar démontre que 51 des 57 indices en actions passés au filtre des critères ESG ont surperformé les principaux indices boursiers. C’est vrai pour les poids lourds de la cote américaine, comme Microsoft et Visa, ou en Asie, pour les leaders ESG comme Alibaba et NTT Docomo.
A lire aussi: La gestion passive, bientôt leader de l'investissement durable
Alexandre Tavazzi, stratégiste global de Pictet Wealth Management, voit dans la crise un accélérateur, au moins indirect, pour les critères ESG dans la mesure où «beaucoup d’entreprises se sont rendu compte qu’il était compliqué d’avoir des centres de production et d’assemblage très éloignés les uns des autres. Et cela n’est pas compatible avec la durabilité», explique-t-il. De même, les responsables d’entreprise pourraient sentir une pression quant à la possibilité de s’endetter pour payer des dividendes ou racheter des titres de la part des marchés ou de nouvelles règles mises en place par les gouvernements ou les régulateurs.
Penser «l’impensable»
Ce d’autant que la crise actuelle aide à «penser l’impensable», souligne de son côté Tamara Hardegger, directrice de l’Association suisse pour des investissements responsables (ASIR). Donc à réfléchir aux pertes financières potentielles d’une transition climatique et écologique soudaine, exponentielle et rapide, ajoute-t-elle. La finance durable peut en bénéficier. C’est aussi le sentiment de l’expert de Vontobel, qui fait part d’un intérêt marqué de la clientèle depuis la crise, en particulier en provenance de fondations, d’institutions religieuses ou de particuliers fortunés.
On comprend pourquoi BlackRock, le leader mondial de la gestion d’actifs, prévoit que les actifs placés dans les ETF et les fonds durables vont être multipliés par six d’ici à 2030 et atteindre 1200 milliards de dollars. Dans une note, Philipp Hildebrand, numéro deux du gérant d’actifs, l’assure d’ailleurs: «Le mouvement tectonique de réallocation des actifs dans des stratégies d’investissement durable est en cours et ne pourra qu’aller en s’accélérant.» Et l’ancien président de la Banque nationale suisse de pointer «les meilleurs résultats pour les portefeuilles intégrant ces stratégies».
Selon le magazine Barron’s, le gérant entend en profiter en créant une nouvelle version durable de l’indice S&P 500, en excluant par exemple les énergies fossiles.