Nouvel épisode dans le feuilleton des personnages secondaires dans la lutte contre la fraude fiscale. Dans un arrêt* publié mardi, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a recadré le fisc fédéral concernant la transmission de données de tierces personnes à des autorités étrangères. Par exemple, des gérants de fortune ou d’autres employés de banque qui se seraient occupés de comptes appartenant à un fraudeur fiscal présumé. Ces dernières années, l’Administration fédérale des contributions (AFC) ne prenait plus la peine de caviarder leurs noms.

«La Cour a tout d’abord rappelé que la loi sur l’assistance administrative fédérale (LAAF) exclut la transmission d’informations sur des personnes qui ne sont pas directement visées par une demande d’entraide. Néanmoins, si elle considère que ces informations devaient être pertinentes pour l’Etat requérant l’assistance, l’AFC peut les transmettre, à condition qu’elle en informe préalablement ces personnes», analyse Célian Hirsch, avocat et doctorant au centre de droit bancaire et financier de l’Université de Genève.

Davantage de transparence

«Mais le TAF a aussi estimé que la LAAF doit s’interpréter selon les principes généraux de la protection des données. En conséquence, lorsque le pays receveur n’offre pas une protection des données équivalente à celle pratiquée en Suisse, les personnages secondaires doivent être prévenus. C’est le cas pour les Etats-Unis, qui avaient émis la requête dans ce dossier», poursuit notre interlocuteur. Enfin, le TAF a stipulé que lorsque l’AFC considère que des dossiers exceptionnels nécessitent un travail disproportionné, le fisc fédéral doit préciser sa pratique. Un pas vers davantage de transparence, donc.

Cet arrêt – qui peut être contesté devant le Tribunal fédéral – marque une nouvelle étape dans un dossier qui s’est enflammé en juin 2018. Lors d’une anodine conférence, un directeur de l’AFC avait alors révélé que depuis 2017, le fisc fédéral avait pour pratique de ne pas prévenir ces personnages secondaires, pour plusieurs raisons.

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Trois raisons principales

La première est d’ordre matériel: le fisc fédéral considérait que, dans des dossiers complexes, le caviardage des noms des personnes tierces aurait pris trop de temps, et qu’il n’est pas possible d’utiliser un logiciel pour ce faire.

La seconde est plus politique: en contactant toutes les tierces personnes (elles peuvent être nombreuses à avoir gravité autour d’un compte) et en leur donnant un délai de recours, l’AFC estime prendre le risque de ne pas pouvoir assurer l’entraide administrative dans des délais acceptables. Ce qui empêcherait, dit le fisc, la Suisse de remplir ses engagements internationaux.

Dernière raison: n’étant pas directement visés par la demande d’entraide, les personnages secondaires ne risqueraient rien, selon le fisc fédéral et le Département des finances, et n’auraient donc pas besoin de pouvoir contester le transfert de leurs données. La loi suisse prévoit que quiconque «est spécialement atteint» ou «a un intérêt digne de protection» peut contester une décision d’entraide.

Pas de garantie d'étanchéité entre les administrations

Cette pratique avait rapidement suscité la controverse. La transmission de ce genre d’informations doit respecter le principe de spécialité: les données échangées ne peuvent être utilisées que pour la raison pour laquelle elles ont été demandées. Un soupçon de fraude fiscale, dans ce cas.

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Mais des avocats et banquiers craignent que l’étanchéité entre les différentes administrations du pays receveur ne soit pas toujours parfaite. En particulier, le fisc du pays receveur pourrait partager certaines données avec le Ministère de la justice, qui pourrait décider de poursuivre les gérants ou conseillers qui supervisaient le compte d’un fraudeur présumé. Cet été, le TAF a ainsi accepté de réexaminer un dossier d’entraide avec l’Inde, au motif que le principe de spécialité n’avait pas été respecté.

Cette crainte explique aussi la volonté d’UBS d’empêcher la France de recevoir les données sur plus de 40 000 comptes saisis en Allemagne au début des années 2010. La banque voulait éviter que ces informations soient utilisées dans le cadre de son procès parisien pour blanchiment de fraude fiscale, conclu sur une amende de 3,7 milliards d’euros le 20 février dernier. Le 26 juillet, le Tribunal fédéral avait, durant une audience publique, estimé que ces données pouvaient être transmises. Parmi les trois juges, l’un avait estimé que la France avait violé le principe de spécialité, tandis qu’un autre avait l’avis contraire.

Victoire pour le préposé aux données

Le préposé fédéral à la protection des données avait contesté cette pratique de l’AFC auprès de l’autorité de tutelle du fisc fédéral, le Département fédéral des finances. Les services du conseiller fédéral Ueli Maurer avaient pris position en faveur du fisc le 20 septembre 2018. Le préposé fédéral à la protection des données avait ensuite saisi le TAF.

* Arrêt A-5715/2018 du 3 septembre 2019