Les fonds très verts ne le sont pas vraiment
finance durable
AbonnéLes fonds de placement classés article 9 selon la réglementation européenne ne sont pas exempts de «greenwashing», affirme une étude de l’Université de Zurich. Car les critères déterminés pour leur gestion laissent une grande marge d’interprétation

Le puzzle de la finance prend lentement forme, mais il continue à comporter des trous. Depuis 2021, les intermédiaires financiers doivent fournir des informations sur le degré de durabilité de leurs fonds de placement. Des trois catégories mises sur pied par la réglementation européenne, celle définie par l’article 9 a vite été utilisée comme un label récompensant les véhicules «vert foncé». C’est-à-dire ceux dont les investissements génèrent un impact positif sur la société et la planète, en plus d’un rendement financier. On pensait tenir un outil qui permettrait de trier le bon grain de l’ivraie. Or dans la réalité, les produits financiers relevant de l’article 9 investissent souvent dans des entreprises polluantes mais pleines de bonnes intentions, et sont eux aussi susceptibles de faire l’objet de greenwashing. Ce sont certains des enseignements d’une récente publication effectuée par deux chercheurs de l’Université de Zurich. Leur recherche remet en question les véritables motivations des gérants actifs dans la finance durable et met en exergue les questions encore ouvertes pour que la finance durable le soit vraiment.
«Tout ça pour ça?» Les fonds de placement catégorisés en article 9 posent un risque d’écoblanchiment, affirment les deux chercheurs du Centre de compétence en finance durable de l’Université de Zurich. Cette catégorie est pourtant la seule à prendre en compte la double matérialité, c’est-à-dire à la fois les conséquences de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sur une entreprise et les effets de l’activité de cette dernière sur la planète. Insuffisant pour garantir que les fonds concernés soient très verts, néanmoins.
A quoi tient la «greenness»
Cette étude repose sur l’analyse des positions de 290 fonds actions article 9, qu’ils soient globaux ou exposés aux Etats-Unis, à l’Europe ou aux pays émergents. Sur les 4463 sociétés détenues par ces véhicules de placement, certaines sont omniprésentes, en particulier le spécialiste français de la gestion de l’énergie Schneider Electric (présent dans plus d’un fonds sur deux de l’échantillon), la société d’inspection Vestas (dans 47% d’entre eux) et Microsoft, dans un peu moins de 4 sur 10. Seules 1544 des 4463 sociétés apparaissent dans un seul fonds «vert foncé».
Cette propension à être incluses dans des véhicules article 9 est appelée la greenness d’une entreprise – son caractère vert – par les auteurs de l’article, qui se sont intéressés aux facteurs qui expliquent qu’une entreprise est sélectionnée par un gérant d’un fonds article 9.
Deux éléments principalement, décrit Adrien-Paul Lambillon, coauteur de l’article avec le professeur Marc Chesney: «D’une part, le score ESG de l’entreprise et, d’autre part, la fixation d’objectifs à atteindre, par exemple en termes de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre ou émettent des directives en faveur des droits de l’homme. Or certaines de ces actions n’ont pas d’effet positif sur l’environnement ou la société, mais servent plutôt à améliorer le profil durable de l’entreprise et réduire les risques financiers associés.»
Et si les objectifs ne sont pas atteints?
Et si ces objectifs ne sont pas atteints, à l’échéance fixée? «L’une des questions que nous posons est: une entreprise qui fixe des objectifs dont on ignore s’ils seront atteints peut-elle déjà être considérée comme durable? Lorsqu’un gérant considère que c’est le cas si la stratégie de l’entreprise est validée par la Science Based Targets Initiative, on peut alors se demander si sa gestion durable relève surtout d’un exercice tick the box, poursuit Adrien-Paul Lambillon. La Science Based Targets Initiative est un partenariat entre diverses structures impliquées dans la transition énergétique, dont les Nations unies et le WWF, qui définit les meilleures pratiques concernant la baisse des émissions de gaz à effet de serre.
L’étude montre aussi que plus de 300 des sociétés présentes dans des fonds article 9 se trouvent en violation des principes du Global Compact, une initiative des Nations unies pour encourager les entreprises à adopter des comportements durables en matière d’environnement ou de droits humains notamment. Autre découverte: les fonds analysés ont plus souvent investi dans des sociétés actives dans les énergies fossiles que dans le renouvelable. Comment est-ce possible, pour des fonds considérés comme les plus verts disponibles? Car ces compagnies pétrolières ou gazières sont engagées dans la transition énergétique.
La transition, c’est quoi finalement?
Or un fonds article 9 devrait-il pouvoir investir dans des entreprises actuellement polluantes, par exemple, mais qui prévoient de devenir durable à l’avenir? «Un gérant peut justifier qu’il investit dans de telles entreprises car il soutient la transition. Mais si toutes les entreprises de son portefeuille sont en transition, car elles ont fixé des objectifs de réduction de carbone, le gérant va-t-il pousser les dirigeants d’entreprise à atteindre les buts qu’ils se sont fixés ou s’agit-il seulement d’un moyen d’élargir son univers d’investissement?», se demande encore Adrien-Paul Lambillon, par ailleurs spécialiste du durable au sein de Partners Group, une société de private equity basée à Zoug. Il enchaîne: «La finance durable a beaucoup à voir avec l’honnêteté intellectuelle: la véritable motivation d’un gérant est-elle de soutenir la transition écologique, à travers une approche structurée et la volonté d’influencer les entreprises, ou veut-il simplement éviter les restrictions sur son univers d’investissement et cocher les cases pour détenir une action afin de profiter de sa hausse?».
La classification des fonds en article 6, 8 ou 9, n’a pas été pensée comme un label, mais elle a été vue comme cela par l’industrie financière, observe Coline Pavot, responsable de la recherche IR chez La Financière de l’Echiquier (LFDE). «Puis des précisions ont été apportées: un fonds article 9 doit contenir 100% d’investissements durables, c’est-à-dire investir uniquement dans des entreprises qui contribuent de manière positive à un objectif environnemental ou social, qui ne causent pas de préjudice important à d’autres objectifs et qui ont une bonne gouvernance», détaille la spécialiste.
Critères précisés mais encore flous
De quoi mettre fin aux questionnements? Pas du tout, répond Coline Pavot: «Ces critères restent flous: qu’est-ce qu’une bonne gouvernance? Comment mesurer l’impact des produits et services d’une entreprise en transition? A partir de quel pourcentage du chiffre d’affaires une entreprise est-elle considérée comme durable?». Faute de réponse universelle, chaque gérant a déterminé son propre modèle, ce qui explique l’hétérogénéité des investissements effectués par des fonds article 9.
La Financière de l’Echiquier gère quatre fonds d’impact et a décidé d’attendre de nouvelles précisions, sur l’éligibilité des entreprises en transition notamment, avant de décider s’il convient d’en reclasser certains en article 8. «Une entreprise en transition est difficile à définir, il faut notamment montrer que son modèle d’affaires évolue», reprend Coline Pavot, qui prend l’exemple du raffineur finlandais Neste, une position d’un fonds article 9 de LFDE. «Neste est spécialisée dans la fabrication de diesel à partir de matières premières renouvelables (déchets de l’industrie alimentaire, déchets municipaux, huiles de cuisson usagées, algues…), mais cela ne représente qu’environ la moitié de sa production globale, qui englobe aussi du diesel classique. Si l’entreprise continue à évoluer dans le bon sens, nous la suivrons, sinon nous sortirons.»
La réglementation permet une certaine interprétation, ce qui est à la fois une force et une faiblesse, enchaîne Laura McTavish, analyste chez DNB Asset Management, une société de gestion norvégienne: «La réglementation ne peut pas être très prescriptive, au risque de limiter l’univers dans lequel ces fonds peuvent investir et il peut exister différentes opinions sur ce qui est considéré comme durable. A l’inverse, un fonds relevant de l’article 8 ou l’article 9 ne donne pas nécessairement une solution parfaite pour le client, nous pensons qu’il est également important de s’intéresser au processus de gestion.»
Plans de transition crédibles
Sur les trois fonds article 9 de DNB, celui sur l’énergie renouvelable, dans lequel est impliquée notre interlocutrice, autorise des entreprises en transition, mais seulement si elles ont des plans de transition crédibles. C’est-à-dire? Le spécialiste italien de l’énergie Enel, dans lequel le fonds énergie renouvelable est investi, offre un bon exemple selon Laura McTavish: «Enel a une certaine exposition au charbon, mais avec un plan très clair d’en sortir d’ici 2027, en fermant ses actifs, pas en les vendant, ce qui est important pour nous. L’entreprise a aussi un plan vers le Net Zero et ajoute des capacités significatives de renouvelables chaque année». DNB, qui fait partie de l’initiative Climate Action 100 +, tolère une exposition au charbon seulement si ce dernier représente moins de 30% du chiffre d’affaires d’une entreprise. Cependant, le fonds applique un seuil plus strict de 10% en suivant les exigences du label FNG (une norme de qualité pour les investissements durables lancée en 2015 par l’Université d’Hambourg). «Enel produit toujours des émissions mais c’est aussi l’entreprise qui a conduit à la plus forte baisse des émissions sur la planète au cours de la dernière décennie, selon une étude de Corporate Knights de 2022», conclut Laura McTavish.