Enquête
La banque helvétique n’est pas parvenue à un accord avec la justice française pour éviter son renvoi en correctionnelle. Son procès pour «blanchiment de fraude fiscale» aura donc bien lieu. Il pourrait se tenir dès la fin 2017 et s’annonce comme un moment clef pour la justice française

Le procès UBS aura donc bien lieu en France, peut-être dès la fin 2017. «L’ordonnance de renvoi au tribunal correctionnel a bien été signée vendredi 17 mars, et transmise immédiatement à la banque» a confirmé lundi une source judiciaire au «Temps».
Cet épilogue ferme définitivement le volet de la négociation en vue d’une éventuelle «Convention d’intérêt public» entre l’établissement bancaire helvétique et le Parquet national financier (PNF). Le PNF a redit au «Temps», ce lundi, «être tenu en la matière à une totale confidentialité» par les dispositions de la loi Sapin II, qui encadre cette possibilité de négociation destinée à éviter un procès. Le PNF avait initialement requis renvoi en procès le 24 juin 2016, mais ce nouveau texte législatif avait entrouvert une possibilité de règlement négocié. Laquelle a finalement échoué.
Lire aussi: UBS refuse de signer un accord pour éviter des poursuites en France
Accusation de «blanchiment aggravé de fraude fiscale»
La maison mère UBS avait été mise en examen le 23 juillet 2014 par les juges d’instruction Serge Tournaire et Guillaume Daieff pour «blanchiment aggravé de fraude fiscale», après une première inculpation, en juin 2013, pour «démarchage illicite» de clients sur le territoire français. Sa filiale UBS France a, de son côté, été plusieurs fois mise en examen pour les mêmes chefs d’inculpation, ainsi que pour «subornation de témoins» en mars 2016, soupçonnée d'avoir tenté de faire taire un lanceur d’alerte.
La banque avait acquitté le 30 septembre 2014 une caution de 1,1 milliard d’euros demandée par les magistrats instructeurs, qu’elle avait en vain par la suite contesté devant la justice. Toutes ses requêtes ont depuis été déboutées, y compris devant la Cour européenne des droits de l’homme. Selon la justice française, la banque helvétique et sa filiale auraient, entre 2004 et 2012, mis sur place un vaste système d’évasion fiscale portant sur une somme évaluée entre 10 et 12 milliards d’euros. L’affaire avait démarré en 2010 par une dénonciation anonyme d’anciens salariés de la banque française. Ces derniers avaient découvert un système de comptabilité opaque, surnommé les «carnets du lait», destiné à camoufler la répartition des bonus entre chargés d’affaires français et suisses, lorsqu’ils s’envoyaient de part et d’autre de la frontière des clients dont les avoirs n’étaient pas déclarés.
La teneur des négociations demeure peu précisée
La réalité de la négociation qui s’est tenue entre UBS et le PNF, reste opaque. La transaction d’un montant de 1,1 milliard d’euros que UBS dit avoir refusée, selon «Le Journal du Dimanche», n’est en effet pas confirmée par des proches du dossier. Lesquels évoquent au contraire le refus d’UBS d’entrer en matière sur un tel montant. Selon nos informations, la proposition de la banque était très inférieure à ce montant et un accord était dès lors impossible pour conclure une Convention d'intérêt public.
Le Parquet national financier, en vertu des dispositions de la loi Sapin II votée en novembre 2016, pouvait exiger une amende calculée en fonction des «avantages tirés» de l’infraction, «dans la limite de 30%» du chiffre d’affaires moyen annuel de l’entreprise sur les trois dernières années. Une somme équivalente à la caution versée était donc, selon nos informations, «le minimum requis» pour en terminer avec cette affaire.
Lire également: UBS pourra contester l’envoi de données à la France
Une amende qui n’est pas «au prix du marché»
Si la proposition d’UBS avait été acceptée - on parle de moins de 500 millions d'euros - une importante partie de la caution aurait du être remboursée. Une version contestée dimanche par Markus Diethelm, directeur juridique d’UBS dans le «JDD»: «Une telle somme (1,1 milliard d'euros, ndlr) est impensable vis-à-vis de nos actionnaires comme vis-à-vis des autres justices avec lesquelles nous avons négocié… Ce n’est pas du tout le prix du marché. Ce que l’on nous a proposé n’était pas raisonnable.»
Le bénéfice mondial d’UBS AG en 2016 s’est élevé à 3,2 milliards de francs l’an dernier, contre 3,5 milliards en 2015 (pour un revenu opérationnel de 28,2 milliards), soit une baisse de 17%. Un autre mode de calcul pouvait consister à partir de la somme incriminée de 10 à 12 milliards d’euros dissimulée au fisc français, en se basant sur les profits réalisés à partir de celle-ci, soit environ 220-300 millions de francs.
Le PNF croule sous les procédures
L’objectif affiché du Parquet national financier et des juges d’instruction Daieff et Tournaire est d’obtenir un procès d’UBS avant la fin 2017. Mais le calendrier judiciaire pourrait bien l’empêcher. Le PNF, crée en 2013 et dirigé par la procureure Eliane Houlette, compte quinze magistrats et croule sous les affaires. Plus de 200 dossiers sont en attente et plus de 500 enquêtes ont été diligentées à son initiative depuis sa création.
La dernière en date, de loin la plus médiatique en pleine campagne présidentielle, est celle portant sur les présumés emplois fictifs de la famille Fillon qui a conduit les juges à mettre en examen le candidat de la droite le 14 mars dernier. Le juge Serge Tournaire, aux commandes de l’affaire UBS, est aussi celui qui pilote l’investigation dans l’affaire Fillon. Il doit auditionner Penelope Fillon le 28 mars prochain.
Une chose est toutefois certaine: l’affaire UBS, emblématique pour la lutte contre l’évasion fiscale – devenue une priorité du quinquennat de François Hollande – ne s’achèvera donc pas sous le mandat du président français sortant. La fermeté de la justice dans ce type de dossiers a été illustrée par le jugement prononcé le 8 décembre 2016 contre l’ancien ministre socialiste du budget Jérôme Cahuzac, ancien détenteur d’un compte en Suisse… passé par UBS. Ce dernier a écopé de 3 ans de prison ferme, plus 5 ans d’inéligibilité. La banque genevoise Reyl, reconnue coupable par le tribunal d’avoir assisté le couple Cahuzac dans ses opérations de dissimulation, a été condamnée à l’amende la plus lourde prévue, soit 1 875 000 euros, tandis que son dirigeant François Reyl a écopé de 1 an de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende. La banque, François Reyl et Jérôme Cahuzac ont décidé d’interjeter appel.
Lire aussi: François Fillon, l’Elysée pour immunité