Finance
Le vote sur la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne a agité les places financières. Dans la salle des marchés de la BCV, on n'avait pas vu ça depuis le 15 janvier. Récit

Prilly, vendredi matin. En route pour la salle des marchés de la Banque cantonale vaudoise (BCV), Nicolas Tissot s'attend à vivre une matinée un peu mouvementée. Mobilisé aux aurores, le responsable du trading en devises va devoir gérer avec toute son équipe une journée appelée à laisser des traces sur les marchés européens et mondiaux. Il est 6h du matin sur les hauteurs de Lausanne: les premières tendances annonçant le triomphe du camp pro-Brexit ont été publiées deux heures plus tôt.
Sur les ondes de la Première, un trader londonien se réjouit des opportunités de gains induites par la volatilité des marchés. Un discours «stéréotypé de trader avide» qui agace Nicolas Tissot. «Dans un jour comme celui-ci, le but n’est pas de gagner de l’argent mais de limiter la casse et surtout d'aider les clients à passer le cap. L’avenir est trop incertain: vous avez une chance sur deux de perdre votre investissement. Autant jouer au casino.»
Après avoir atteint son plus haut niveau de l’année jeudi soir, la livre sterling a chuté au petit matin à 1,33 par rapport au dollar. Dans la salle des marchés, on répond déjà à des clients inquiets: «Vous avez un change à 1,34. Il ne faut pas trop hésiter...», explique au téléphone un cambiste, en français, allemand ou anglais.
Une «panique organisée» et anticipée
L'ambiance est pourtant incomparable à celle du 15 janvier 2015, véritable «black-out» financier. Après, l'abandon du taux plancher par la BNS, entre 10h25 et 10h50, le franc suisse s’apprécie tellement qu’il devient impossible de réaliser des opérations. Le chaos. Paniqués, les investisseurs multiplient les liquidations. Bilan: 3 à 4 fois plus de transactions que d’ordinaire.
«On vit aujourd'hui une phase de «panique organisée», contraste Nicolas Tissot. L’échéance du référendum était connue. Beaucoup d’investisseurs se sont déjà séparés de leur livre sterling ou se sont protégés contre les variations des taux de change.» En conséquence, la livre glisse lentement dès l’annonce des premiers résultats pour se stabiliser à -12%.
6h50: les monnaies refuges sont à la hausse. Parmi elles, le franc suisse – descendu brièvement à 1,0623 par rapport à l’euro – semble se stabiliser à 1,07. Dans la salle des marchés circule déjà la rumeur d'un soutien du franc par la BNS à coups de massifs rachats d’euros.
On spécule sur des mesures complémentaires pour rendre le franc suisse moins attractif: baisser des taux d’intérêt déjà négatifs? Diminuer le seuil d’exemption des banques – actuellement 20 fois les réserves minimales exigées par la BNS – à ces mêmes taux d'intérêt? «Les banques devraient répercuter cela sur leurs clients, détaille Eric Vauthey, chef de la salle des marchés. Cela pourrait concerner les clients institutionnels ou les fonds.»
Les bourses s’effondrent puis se ressaisissent
8h15: A l’approche de l’ouverture des principaux marchés européens, les «futures» annoncent une tendance en forte baisse. La bourse suisse (SMI) elle, devrait ouvrir à -7,4%, marquée par un le recul des principaux titres bancaires. En Asie, les marchés ont perdu entre -8 et -9%.
A Prilly, l’équipe des devises tient sa réunion quotidienne pour faire le point sur les grandes tendances de la journée. En fait, il n’est question que de Brexit depuis le début de la semaine, concède André Pache, responsable du développement. Le volume sonore monte d’un cran dans la salle des marchés. Les événements s’accélèrent. La BNS confirme son intervention. David Cameron comparaît devant les caméras pour annoncer sa démission.
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Les marchés encaissent pourtant mieux que prévu le choc exogène du Brexit. Le SMI ouvre en baisse de 6,5%, avant de remonter à -4% vers le milieu de la matinée. «Les banques centrales ont joué leur rôle stabilisateur, défend Yann Boislard, responsable du trading obligations et actions. Même si beaucoup de questions restent en suspens, une sortie de l'UE ne pourra pas se faire avant deux ans. Il va à présent falloir revenir à l'ordinaire.» Et gérer le quotidien.
Seulement 11h et, à Prilly, on déjà l’impression de laisser un pan d’histoire derrière soi.