Le millier de gestionnaires de fortune que compte le canton de Genève traversent des temps compliqués. L’enquête conjoncturelle publiée le 13 octobre par la Fondation Genève Place Financière l’a encore démontré: 41,7% des sondés ont indiqué que l’année 2016 aura été «difficile». Et 35,5% s’attendent à ce que 2017 le soit tout autant.

Rester indépendant, un défi

L’un des grands défis qui les attend ces prochaines années est le suivant: comment rester indépendant? Cette question se pose d’autant plus que la réglementation à laquelle ils sont soumis est appelée à évoluer avec l’arrivée de nouvelles lois – sur les services financiers (LSFin) et les établissements financiers (LEFin) – dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2018.

Vendredi 3 novembre, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats a d’ailleurs publié ses propositions de projets de lois. «Une première avancée législative depuis l’adoption par le Conseil fédéral d’un message en novembre 2015», observe Guillaume de Boccard.

Mutualisation des coûts

Avocat et fondateur de deBoccard Conseil, ce dernier souligne que l’une des principales modifications au projet initial est d’assujettir les gestionnaires à l’autorisation de la Finma, tout en prévoyant que la surveillance courante soit exercée par des organismes de surveillance. Autre changement: «La direction d’un gestionnaire devra en principe être assumée par deux personnes qualifiées au moins, explique-t-il. Cette exigence a pour but d’éviter que les personnes en charge de la gestion des risques ou du contrôle interne ne soient impliquées dans les activités qu’elles surveillent.»

Face à ce durcissement réglementaire, synonyme de coûts supplémentaires, certains gérants indépendants pourraient être tentés de trouver de nouvelles solutions; à commencer par rejoindre l’une des nombreuses plateformes qui ont vu jour ces dernières années.

Permettre aux gérants de se concentrer sur l’essentiel

«Les plateformes comptaient beaucoup sur les nouvelles lois pour attirer de nouveaux gérants, confirme Patrick Dorner, directeur de l’Association suisse des gérants de fortune (ASG). Certains espéraient qu’une taille minimale soit introduite, ou que les «one-man-show» soient interdits. Mais tel n’est pas le cas dans la version retenue début novembre, poursuit-il. Les activités de compliance et de gestion du risque devront certes être séparées du reste. Mais elles pourront très bien être externalisées auprès d’autres prestataires.»

Ceux qui devraient toutefois faire ce choix pourront opter entre plusieurs modèles. Le plus connu est celui de Sodi, créée à Genève en 1996 déjà. Le concept est simple: mettre à disposition des gérants des ressources leur permettant de se concentrer sur l’essentiel, soit la gestion des clients. Cela va des bureaux à la comptabilité en passant par un système informatique et un service de compliance.

«Nous offrons un accompagnement légal qui permet aux gérants d’être à jour avec la réglementation, explique Pierre Retord, fondateur de Sodi. Car s’il est encore possible aujourd’hui de gérer sa société tout seul, cela sera beaucoup plus compliqué à l’avenir.»

La recherche de synergies

A Genève, une quinzaine de sociétés d’une à 18 personnes sont aujourd’hui clientes de Sodi. Elles paient en fonction des services dont elles choisissent de bénéficier et non pas de leur performance financière. «Nous sommes une société de services, précise Pierre Retord. Chez nous les gérants restent indépendants.»

Sans actionnaire majoritaire, Amethyst Wealth Advisor & Partners (AWAP) fonctionne comme une centrale d’achat, qui vise à faire baisser les coûts de ses membres. Mais pas seulement: la plateforme lancée en 2015 par trois gérants et un cabinet de conseil juridique définit aussi des processus «best practices» que ses membres appliquent, partageant ainsi une philosophie similaire de leur métier.

Une banque peut donc travailler avec les membres d’AWAP avec un peu plus de confiance qu’avec un gérant indépendant isolé, puisqu’ils appliquent tous des méthodes validées. Plusieurs niveaux d’intégration sont possibles et des intervenants externes peuvent être mobilisés pour du conseil sur les investissements ou la gestion du risque par exemple.

La question des frais

Autre modèle, celui de Sequoia. Disposant d’une licence LPCC depuis 2013, ce qui lui permet de constituer et de gérer des fonds communs de placement en Suisse, la société a décidé de fédérer des gérants indépendants autour d’elle. Une équipe centralisée se charge ainsi de la compliance, de l’administration, de la gestion des risques mais aussi du conseil en gestion pour ceux qui le souhaiteraient.

«Grâce à notre plateforme, les gérants peuvent se décharger des activités de support et se concentrer sur leurs activités d’investissement ou d’acquisition de clientèle», explique son fondateur Pierre Noël Formigé. Aujourd’hui, Sequoia regroupe un gérant de fonds autorisé Finma, 10 gestionnaires de patrimoine et trois sociétés de gestion indépendantes opérant sous leur propre nom. Ces derniers reversent 30% de leur chiffre d’affaires à la structure.

Plus qu’un simple conseiller?

Dernier modèle, celui de l’adossement comme le propose Mantor à Genève. Le concept est là aussi de décharger le gestionnaire de toute la partie compliance, gestion des risques mais aussi du contact avec les banques dépositaires.

Car la grande différence avec les autres plateformes c’est que Mantor reprend à sa charge les contrats de mandat de gestion avec les clients. Elle est ainsi la seule structure à être affiliée directement à un organisme d’autorégulation, et demain à la Finma et à un organisme de surveillance, avec toutes les obligations et les responsabilités que cela incombe. «Pour les gérants, cela a l’avantage qu’ils ne devront plus mettre en place eux-mêmes, et tous seuls, les futures réglementations, tout en gardant un degré élevé d’autonomie, notamment dans la gestion», explique Christian Balmat, directeur de Mantor.

Seize gérants sont aujourd’hui intégrés à Mantor. Ils rémunèrent cette dernière en fonction de leurs actifs sous gestion, «avec des tarifs dégressifs», précise Christian Balmat. Il n’est par contre pas question de les regrouper physiquement. «Notre idée est de centraliser la structure et de décentraliser les prestations», conclut-il.

Rejoindre une plateforme, un choix et non une obligation

Enfin, Blue Horizons Partners, lancé cette année à Genève, veut créer «un réseau d’experts indépendants», où chacun fait profiter les autres de ses compétences, résume son directeur Lionel Pasteur. Trois sociétés sont membres pour l’instant.

Rejoindre une plateforme peut faire craindre à certains une perte d’indépendance. «C’est pourquoi il est important que cela ne devienne pas une obligation mais reste un choix» conclut Patrick Dorner, de l’ASG.