La grande peur de la City se nomme Brexit
Finance
Il y a trente ans, la City était d’une taille similaire à la place parisienne. Aujourd’hui, elle a gagné. Un Brexit pourrait tout remettre en cause

La scène avait été arrangée pour les caméras de télévision et les besoins de la campagne électorale. Le 3 juin, Jamie Dimon, le patron de JPMorgan, avait fait le déplacement des Etats-Unis pour être aux côtés de George Osborne, le chancelier de l’Echiquier britannique. Des centaines d’employés avaient été installés dans le grand auditorium des bureaux de la banque américaine à Bournemouth, les deux hommes trônant au milieu. Leur message, résumé par le banquier américain, était simple: «Un vote pour quitter (l’Union européenne) serait terrible pour l’économie britannique.» En particulier pour sa propre banque, qui utilise le Royaume-Uni comme base pour l’ensemble de l’Europe. Un Brexit l’obligerait à délocaliser des emplois vers l’UE, affirme-t-il. «Je ne peux pas vous dire le nombre exact: 1000, 2000, ça pourrait être 4000.» Jusqu’au quart de sa main-d’œuvre basée outre-Manche.
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Alors que le référendum britannique pour rester ou sortir de l’Union européenne se déroule ce jeudi 23 juin, la City tremble. Toutes les grandes institutions financières veulent rester. L’ensemble des lobbys organisés – la corporation de la City, CityUK, les représentants des grands fonds d’investissement… – est sur la même ligne. La plupart des grandes banques ont brisé leur habituelle retenue sur les sujets politiques pour dire ouvertement leurs craintes. HSBC parle de délocaliser un millier d’emplois. Gary Cohn, le numéro 2 de Goldman Sachs, estime qu’avoir «le Royaume-Uni dans l’Union européenne est la meilleure chose pour nous tous». John Cryan, le directeur général de Deutsche Bank, menace lui aussi de déplacer des emplois: «Il serait étrange de faire du trading d’obligations et de devises européennes dans une filiale hors de l’UE.»
Une place internationale par excellence
Pour le centre financier britannique, les risques du Brexit sont sérieux pour une raison simple: la City n’est pas britannique, mais internationale. Mille quatre cents institutions financières étrangères y sont installées, dont un tiers d’américaines et un tiers de suisses, le reste venant du monde entier. En grande partie, elles utilisent la capitale britannique comme base arrière pour le reste de l’UE.
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Cela n’a pas toujours été le cas, comme l’illustre l’exemple de JPMorgan. Aujourd’hui, la banque américaine emploie 16 000 personnes à travers le Royaume-Uni, soit 84% de ses employés pour toute l’Europe. «Mais à la fin des années 1980, JPMorgan et toutes les banques américaines avaient des bureaux importants un peu partout à travers l’Europe: Bruxelles, Paris, Francfort…, se rappelle Karel Lannoo, le directeur du Centre for European Policy Studies, basé à Bruxelles. Progressivement, ils ont presque tout rassemblé à Londres.»
Les raisons en sont multiples: libéralisation du secteur financier britannique avec le «big bang» de 1986, langue anglaise, flexibilité de la main-d’œuvre… Mais au cœur de l’explication se trouve l’Union européenne. Lentement, directive après directive, celle-ci a abattu les barrières du marché européen de la finance. Il existe désormais un système de «passeport», qui permet de vendre un produit financier réalisé dans un pays européen à travers toute l’UE. Pas besoin d’obtenir l’approbation de chacun des vingt-huit régulateurs.
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Il s’est donc produit ce que la théorie économique promettait, avec une spécialisation géographique toujours plus grande dans chaque secteur: au Royaume-Uni la finance, à l’Allemagne les machines-outils, à la France le tourisme… Londres s’est imposée comme la place financière internationale par excellence.
Surplus commercial
Résultat, les exportations financières britanniques affichent un surplus commercial. En 2013, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, elles s’élevaient à 19,4 milliards de livres (27,3 milliards de francs), pour 3,3 milliards de livres d’importations. Selon une étude de Capital Economics, la perte du passeport pourrait entraîner une réduction de moitié de ces exportations.
La Suisse offre un parfait contre-exemple. Malgré de nombreux accords bilatéraux avec l’UE, elle ne bénéficie pas du passeport européen. Les grands établissements helvétiques, comme UBS, ont installé leur centre européen à Londres. Sur cette base, la finance est sans doute le secteur économique du Royaume-Uni qui a le plus à perdre d’un Brexit.