Directeur de PostFinance depuis 2012, Hansruedi Köng, est aussi président du conseil d’administration de Twint, sa filiale spécialisée dans les solutions numériques créée en 2014, qui a développé l’application de paiement mobile et le porte-monnaie électronique du même nom. Un mois après son lancement à travers toute la Suisse, il fait le point sur les perspectives pour les applications de paiement mobile ainsi que sur les projets de collaboration de PostFinance avec Swissquote. Entretien.


Le déploiement à travers toute la Suisse de la solution de paiement mobile Twint, filiale de PostFinance, a commencé début novembre. Quel premier bilan tirez-vous du lancement de cette application?

Nous sommes très satisfaits du lancement de Twint pour plusieurs raisons. Cette application a été bien accueillie par les commerçants: environ 1000 commerces, boutiques ou sites de vente en ligne devraient l’utiliser d’ici à la fin de cette année, dont un grand nombre en Suisse romande. C’est aussi le cas du côté du secteur financier – Valiant et cinq banques cantonales, dont celles de Berne et de Genève, ont adopté cette solution de paiement mobile –, tout comme au niveau de la clientèle. Notre principal partenaire, Coop, propose désormais ce système de paiement dans 3000 caisses réparties à travers tout le pays, un nombre qui augmentera à plus de 6000 d’ici au printemps de l’année prochaine. Twint n’est ainsi pas une solution de PostFinance mais une solution ouverte.

Outre Coop, Migros pourrait-il aussi proposer un jour Twint à ses clients?

Des bonnes discussions sont en cours avec Migros. C’est tout ce que nous pouvons dire à ce sujet pour l’instant.

La concurrence est déjà vive sur le marché des applications de paiement mobile. Paymit - la solution développée par la SIX conjointement avec UBS, la Banque cantonale de Zurich et d’autres établissements cantonaux – a été lancée quelques mois plus tôt au début de l’été. Swisswallet, la solution paiement en ligne et de porte-monnaie numérique proposée par les émetteurs de cartes de crédit Aduno et Swisscard, vient de débuter ses activités. Twint n’arrive-t-il pas sur un marché déjà saturé?

Tout est encore en mouvement dans ce domaine. Je pense que Twint dispose des meilleures cartes pour s’imposer sur le marché des applications de paiement mobile. Pour l’instant, Paymit ne permet pas encore de payer dans les commerces, alors ce n’est pas vraiment une concurrence. Twint, au contraire, a l’avantage de pouvoir être utilisé sur tous les canaux: pour payer à la caisse, sur internet, chez Coop, les CFF, CarPostal, SV Group etc. Cette solution peut aussi être utilisée pour effectuer des paiements de personne à personne, ou «P2P». Le tout sans même que les utilisateurs n’aient besoin d’avoir une carte de crédit ou de débit. Nous sommes ainsi très sereins face aux autres solutions.

Y aura-t-il au final de la place pour toutes les solutions qui débutent sur le marché actuellement?

C’est difficile à dire. Souvent, quand une nouvelle technologie apparaît sur le marché, plusieurs offres coexistent et puis, au final, une ou deux solutions finissent par s’imposer. Cela a, par exemple, été le cas sur le marché des appareils audio – différents standards existaient, puis en fin de compte, seul le CD est resté comme support physique.

Quelles sont vos attentes pour Twint en termes de nombre d’utilisateurs?

Il est très difficile de formuler un tel pronostic. Nous avons bien sûr établi des plans à l’interne à ce sujet. Globalement, nous voulons devenir numéro un sur le marché des paiements mobiles en Suisse – c’est pourquoi Twint est un modèle ouverte à toutes les banques, tous les commerçants et toutes les personnes privées –, de la même manière que PostFinance est leader dans le domaine du trafic des paiements.

En novembre, Alexandre Zeller, le président de la SIX, a averti à l’encontre du risque de fragmentation du marché des solutions de paiement mobiles si différents standards coexistent en Suisse au lieu d’un seul. Une telle situation risquerait de profiter aux géants du net si ces derniers se lancent sur le marché helvétique. Partagez-vous cette crainte?

Je comprends en partie cette argumentation. Il est clair qu’une action concertée de tous les acteurs du marché des paiements en Suisse serait souhaitable pour faire face à une éventuelle entrée sur ce segment des géants comme Apple, Google ou Samsung. Toutefois, si l’on part du principe qu’il vaut mieux avoir une seule solution opérationnelle sur le marché des paiements mobiles, mon espoir est justement que ce soit Twint qui puisse devenir le standard dans ce domaine en Suisse. Cela précisément en raison de ses multiples fonctionnalités. Et comme l’application a déjà un partenariat avec sept banques, ses chances sont bonnes pour devenir le standard suisse du marché financier.

Si l’on se place du côté des utilisateurs, quelle est vraiment la valeur ajoutée apportée par Twint ou d’autres solutions de paiement mobile pour les clients? Insérer un code dans un terminal n’est finalement pas si compliqué et c’est une solution qui a fait ses preuves…

Les possibilités offertes par Twint ne se limitent pas au seul acte du paiement. Dans un premier temps, il est nécessaire de mettre en place un écosystème fonctionnant sur les principaux logiciels de téléphonie mobile, à savoir Android et IOS. Ensuite, il sera possible d’y ajouter progressivement toutes sortes de fonctionnalités qui rendront Twint attrayant pour les utilisateurs. D’une part, il s’agit de fonctions de type «couponing»: les commerçants pourront proposer des coupons ou réductions à ses clients via Twint ou des programmes de fidélisation. Pour les clients de Coop, il est déjà aujourd’hui possible d’accumuler des points via la Supercard. D’autre part, d’autres offres pourront être lancées au niveau du point de vente. Il sera possible de placer des ordres à l’avance chez certains commerçants: par exemple, commander une pizza ou un café lorsque l’on est encore dans le tram.

Comment Twint et PostFinance vont-ils exploiter les données de la clientèle? Envisagez-vous de proposer pro-activement des suggestions d’achats à vos clients en vous basant sur l’analyse de leurs habitudes de consommation?

Cela dépendra de la préférence des clients. En s’enregistrant chez Twint, on leur demandera s’ils souhaitent recevoir – ou non – de telles propositions de services ou des offres de certaines boutiques en fonction de leurs habitudes de consommation. Par exemple, le client qui s’intéresse aux sports d’hiver pourrait se voir proposer un bon de réduction de la part d’un magasin situé à proximité de l’endroit où il se trouve. Un point important doit être souligné à ce sujet: non seulement, une telle autorisation sera demandée au client mais, en plus, il pourra revenir sur sa décision. Lorsqu’il s’agit des données des clients, nous pensons que la confiance est essentielle. Le client pourra demander à tout moment que ses données sur Twint soient effacées. C’est ce qui nous différencie de Google! De plus, toutes les données dont nous disposons ne sont jamais transmises à des sociétés tierces.

Beaucoup de solutions de paiements mobiles sont liées à l’usage d’un compte bancaire en arrière-plan. Qu’est-ce que cela implique en termes de protection des données?

Un autre aspect important doit être mentionné à ce sujet: il y a une séparation totale et claire entre les données déposées chez PostFinance, qui sont de plus protégées par le secret bancaire, et celles se rapportant à Twint. Ce sont deux sociétés différentes. PostFinance ne transfert jamais ses données à l’extérieur. La situation est la même chez Twint.

Vous avez mentionné l’exemple de Google. Apple Pay est proposé outre-Manche. Quels sont les risques de voir arriver les géants du Net sur le marché européen ou en Suisse pour les acteurs locaux?

L’arrivée des géants d’internet en Europe aurait deux effets. D’un côté, cela accroîtrait le degré de connaissance du public pour les solutions de paiements mobiles, ce qui serait plutôt positif. De l’autre, nous préférerions bien sûr que ces grands groupes n’arrivent pas en Suisse dans six mois. Notre meilleure protection est d’atteindre un haut degré de pénétration de nos solutions dans la population. De plus, il y a aussi l’aspect lié aux coûts: Apple Pay est un système qui repose sur les cartes de crédit, ce qui le rend beaucoup plus onéreux pour les commerçants que Twint. Enfin, l’aspect de la protection des données parle en faveur des solutions proposées par les fournisseurs helvétiques. Il est extrêmement difficile de faire effacer ses données lorsqu’elles sont déposées chez Google ou d’autres géants du net aux Etats-Unis. Je pense que les Suisses seront sensibles à cet aspect lorsqu’il s’agit de paiements.

Dans le domaine des technologies financières («fintech»), beaucoup d’espoirs sont placés dans la technologie «blockchain» (ndlr: à la base de la monnaie virtuelle Bitcoin). Voyez-vous un potentiel pour celle-ci chez PostFinance?

C’est aussi un thème de discussion au sein de certaines de nos équipes. Il s’agit d’une technologie intéressante et qui apportera encore beaucoup de changements dans la manière d’organiser les transactions à l’avenir mais elle n’est pour l’instant pas encore directement applicable au sein de notre modèle d’affaires.

En matière de services bancaires en ligne, vous avez évoqué fin octobre le lancement d’une offre de type «robo advisor», ou robots-conseillers, dans le cadre de la collaboration avec Swissquote annoncée l’an dernier. Qu’en est-il?

Nous avons l’intention de collaborer à l’avenir avec Swissquote dans deux domaines, dans le trading en ligne et dans la gestion de fortune électronique. La plateforme de trading en ligne est en phase de test. Son lancement est prévu au second trimestre 2016. Son design sera toutefois un différent de celui de l’offre proposée actuellement par Swissquote car PostFinance s’adresse à un public plus généraliste. Notre offre sera simple à l’utilisation. Un client intéressé se verra proposer un portefeuille correspondant à leur profil de risque, puis il pourra effectuer quelques ajustements dans son allocation d’actifs en y ajoutant certains titres ou en augmentant la part de certains placements selon ses préférences.

Combien de clients de PostFinance s’intéressent-ils aux services de trading en ligne et qu’anticipez-vous à l’avenir?

Actuellement, seuls quelque 60 000 clients de PostFinance utilisent notre plate-forme de trading en ligne. Nous pensons toutefois que ce nombre peut être multiplié par deux ou par trois. Le potentiel de croissance sur ce segment est énorme, car une proportion toujours plus importante de la population est intéressée à gérer elle-même ses placements.

Un nombre croissant d’instituts propose des hypothèques entièrement en ligne. Voyez-vous aussi un potentiel chez PostFinance pour de telles offres?

Les hypothèques en ligne peuvent intéresser un certain pourcentage de notre clientèle. Toutefois, en matière d’hypothèques, je pense qu’une majorité de clients en Suisse préfèrera toujours se rendre dans une filiale et avoir un contact personnel avant de contracter une hypothèque.

Sur le plan politique, le Conseil fédéral a maintenu la semaine dernière sa position consistant à interdire à PostFinance d’octroyer des crédits et des hypothèques. Une motion lancée par le conseiller national socialiste soleurois Roberto Zanetti voulait lever cette interdiction. Qu’attendez-vous à l’avenir à ce sujet?

Nous devons accepter les décisions politiques et fonctionner en tenant compte de ces contraintes. En tant que chef d’entreprise, je saluerais bien sûr un abandon de cette interdiction. Le monde change et ce qui, autrefois, était peut-être justifié ne l’est plus forcément aujourd’hui. Du fait que PostFinance ne peut pas octroyer des crédits ou des hypothèques, nous sommes obligés de déposer une part importante des avoirs de nos clients auprès de la BNS. Ce qui est devenu très pénalisant compte tenu des taux négatifs.

Jeudi dernier, la BCE a ouvert encore un peu plus les vannes de sa politique monétaire, bien que dans une ampleur inférieure à ce qui était anticipé par les marchés. Selon certains experts, la BNS pourrait encore abaisser ses taux directeurs ce jeudi. Quelles seraient les conséquences de taux négatifs encore plus bas pour les clients de PostFinance? Est-il possible que vous répercutiez les taux négatifs aussi sur les comptes privés de vos clients, comme vous le faite déjà pour la clientèle commerciale?

A l’état actuel, nous ne prévoyons pas de répercuter les taux négatifs pour la clientèle privée. Toutefois, dans un monde qui change très vite, nous ne pouvons plus rien exclure à plus long terme. Qui aurait pensé il y a deux ans que les taux des emprunts à 10 ans de la Confédération puissent évoluer en territoire négatif.

Sur le plan réglementaire, PostFinance est depuis septembre un institut considéré comme étant d’importance systémique. Quelles conséquences pratiques cela a-t-il eu pour votre institut jusqu’ici?

Pour l’instant, cela n’a encore eu pratiquement aucune conséquence pour nos activités. Notre ratio de fonds propres dépasse déjà largement le niveau requis pour notre catégorie d’établissements. Quant aux mesures qui se rapportent à l’élaboration d’un plan d’urgence, leur mise en place s’effectuera à partir de 2017. D’un point de vue opérationnel, nous avons établi deux centres de stockage des données à Berne et Zofingue, donc nous avons déjà mis en place certaines mesures allants dans ce sens.

Une introduction en bourse d’une partie du capital de PostFinance reste-t-elle d’actualité?

Ma mission est de proposer la meilleure offre de services pour la clientèle de PostFinance. La décision consistant à placer ou ou non une partie du capital de notre société en bourse dépend de notre propriétaire, la Confédération.