Cryptovalley
Vecteurs d’innovation ou arnaques? Les levées de fonds en cryptomonnaies, Initial Coin Offering (ICO), attirent de plus en plus d’investisseurs et obligent les régulateurs à se positionner. Plus largement, notre rapport à la réglementation doit être revu à l’aune du numérique

La semaine dernière, le fils d’une amie m’a expliqué comment, depuis quelques mois, au grand dam de ses parents, il investissait une partie de ses économies d’étudiant dans les cryptomonnaies. Précisons que ce jeune homme fait des études d’informatique. De son propre aveu, il ne connaît rien à l’économie, ni à la finance. Par contre, il s’estime suffisamment compétent pour avoir déjà participé à deux ICO. Il n’est pas le seul dans cette situation: en 2017, plus de 3 milliards de dollars ont été levés de cette manière. Pour lui, il s’agit de la suite logique du crowdfunding (financement participatif). Quoi de plus naturel que d’investir par ce biais? Pour ses parents en revanche, c’est aussi peu rationnel que d’aller au casino. Et encore, pensent-ils, les casinos sont encadrés.
La question de la réglementation des ICO illustre le dilemme auquel les régulateurs et les acteurs du marché font face sur le terrain de l’économie numérique. Depuis l’été, plusieurs organismes de réglementation et de contrôle des marchés (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada ou Singapour) ont officiellement averti des risques de ces opérations. La banque centrale chinoise a décidé de les interdire.
La Suisse parmi les leaders mondiaux de la blockchain
La Suisse est l’un des leaders mondiaux dans le domaine de la blockchain et d’importantes ICO ont eu lieu sur notre sol. La Finma aussi agit. Fin septembre, le gendarme suisse des marchés financiers a publié une communication sur la surveillance expliquant qu’en fonction des caractéristiques des ICO, le droit de la surveillance peut s’appliquer sur certains points. Son directeur, Mark Branson, le disait récemment dans ces colonnes: c’est un défi pour son organisation. Il s’agit de trouver une ligne de conduite qui évite les fraudes massives, mais n’entrave pas l’innovation et renforce la confiance des investisseurs. L’innovation est si rapide et dynamique, que les autorités ont de moins en moins de temps pour réagir.
Il ne serait pas surprenant que seule une partie des ICO lancées en Suisse ces derniers mois débouche sur le développement d’un produit. Tout le secteur de la fintech en subirait le contrecoup et des voix s’élèveraient pour réclamer une réglementation sévère. Les investisseurs doivent être conscients des risques qu’ils prennent. L’argent ne pousse pas sur les arbres, même virtuels. Les premiers concernés, les entrepreneurs, le savent bien et ne restent pas inactifs. La Crypto Valley Association avait ainsi pris les devants, début septembre, en annonçant la rédaction d’un code de conduite pour les ICO.
Notre rapport à la réglementation questionné
Au-delà des cryptomonnaies, l’ensemble des modèles d’affaires reposant sur le numérique questionne notre rapport à la réglementation. On pense, entre autres, à la protection des données, aux voitures autonomes, ou à la fiscalité des robots. Les clarifications des autorités peuvent aider à améliorer la confiance, mais dans ce domaine, nos habitudes à tous sont déjà transformées. Après tout, via les entreprises du numérique, nous logeons régulièrement chez des inconnus et rencontrons, à l’occasion, un partenaire pour une nuit, ou toute la vie. Avec ou sans régulation. La voie choisie par la Finma est intéressante: plutôt que de réagir en durcissant chaque fois plus le cadre réglementaire, elle applique des instruments existants aux nouveaux modèles d’affaires.
Une chose est certaine, le fils de mon amie est représentatif de sa génération: il a l’impression que les prestataires de services financiers «classiques» ne lui proposent aucune solution d’investissement à la carte et se sent plus à l’aise avec les fintech. Réglementation ou pas, voilà qui doit inciter les acteurs de la place financière suisse à redoubler d’efforts pour répondre aux attentes de toutes les clientèles.